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Lucifer enflamme le XIXe arrondissement de Paris

Paris
Cité de la musique
06/28/2019 -  et 29* juin 2019
Karlheinz Stockhausen: Samstag aus Licht
Damien Pass (Lucifer), Alphonse Cemin (piano, Joueur du rêve de Lucifer), Claire Luquiens (flûte, Chat noir Kathinka), Julie Brunet-Jailly (flûte, Chat noir Kathinka), Emmanuelle Grach (danseuse à rubans), Henri Deléger (trompette, Michael), Mathieu Adam (trombone, Un diable à trombone)
François-Xavier Plancqueel (percussions), Ayumi Taga (orgue), Alain Muller (claviers, chef de chant), Le Balcon - chœur et ensemble, Orchestre d’harmonie du Conservatoire à rayonnement régional de Paris, Chœur de l’Armée française, Emilie Fleury (cheffe de chœur), Maxime Pascal (direction musicale, conception du spectacle)
Damien Bigourdan (direction scénique, conception du spectacle), Nieto (création visuelle, conception du spectacle), Florent Derex (projection sonore), Pascale Lavandier (costumes), Myrtille Debièvre (scénographie), Catherine Verheyde (création lumière), Agathe Cemin (assistante à la mise en scène)


M. Pascal, H. Deléger (© Claire Gaby/J’adore ce que vous faites)


Point d’orgue au festival ManiFeste, Samstag aus Licht (1983) – dont la seule dernière scène avait été donnée par l’ensemble Le Balcon en 2016 en la basilique de Saint-Denis – se déroule dans deux lieux différents, le public étant invité à se rendre à pied de la Cité de la musique à l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe pour «Les Adieux de Lucifer». Tant d’auréoles n’auraient pas déplu au très mystique Karlheinz Stockhausen, disparu en 2007 après avoir mis un point final à son grand cycle opératique, certainement le plus ambitieux depuis la Tétralogie de Richard Wagner.


Le compositeur-démiurge a tout écrit, de la musique instrumentale au chant, du livret au langage des signes... à telle enseigne que la latitude laissée à l’interprétation semble dérisoire. Mais l’art du tandem Damien Bigourdan/Nieto matérialise autant les desiderata d’une partition sur-nourrie qu’il les fait s’ajuster aux volumes de la Cité de la musique, réagencée sous forme de gradins pour la spectaculaire «Danse de Lucifer»: un visage humain géant projeté par la vidéo s’anime progressivement (sourcils, œil, joue, nez, lèvre, langue, menton) sous les injonctions de Lucifer (formidable Damien Pass). L’orchestre, composé uniquement d’instruments à vent et à percussions, est tenu quant à lui d’en assurer un prolongement chorégraphique par des mouvements coordonnés. Les jeunes musiciens de l’Orchestre d’harmonie du CRR de Paris font plus que jouer le jeu: portés par la direction incendiaire de Maxime Pascal, ils rivalisent d’intensité jusque dans la cocasse «grève spontanée» où tout sombre dans les palabres. Au cours de la «Danse de la lèvre supérieure», «Michael apparaît et proteste – par un solo de trompette piccolo – contre le goût de Lucifer pour la grimace»: c’est l’unique apparition du virtuose Henri Deléger (amené à souffler dans son instrument dans la très inconfortable position couchée) dont la performance, en durée, est ici inversement proportionnelle à celle de Donnerstag aus Licht – mais jeudi est le jour de Michael, samedi celui de Lucifer – donné en novembre dernier à l’Opéra Comique par la même équipe.



A. Cemin, D. Pass (© Claire Gaby/J’adore ce que vous faites)


Auparavant eut lieu la scène inaugurale intitulée «Le Rêve de Lucifer» (ou Klavierstück XIII), laquelle exige de l’exécutant des qualités ayant également partie liée avec le théâtre musical. Alphonse Cemin est l’homme de la situation: avec un look totalement hors du temps (crinière à la Dragon Ball, combinaison noire), soumettant son corps à toutes les contorsions, sifflant, chuchotant, triturant dans le ventre béant de l’instrument quand il ne secoue pas des grelots, sa performance mérite les éloges. Le Treizième Klavierstück nous plonge durant plus de trente-cinq minutes dans la psyché de Lucifer, avant que Kathinka ne prenne la relève pour le «Requiem de Lucifer», qui tient autant du vaste mouvement lent que du rituel mortuaire. Soit vingt-quatre stations (ou exercices), durant lesquelles Kathinka (incarnée par les flûtistes Claire Luquiens et Julie Brunet-Jailly) «conduit l’âme des morts à la clarté de la conscience». La vidéo donne à voir, sous forme d’un panneau circulaire, la partition des formules jouées par la flûte. C’est, avouons-le, le passage qui passe le plus difficilement au concert.


Pour plus de détails sur le déroulement de l’«Adieu de Lucifer», on se permettra de renvoyer le lecteur à notre compte rendu de la production de 2016. Précisons que le Chœur de l’Armée française atteint ce soir une intensité ignée, renforcée par la touffeur régnant dans l’édifice religieux. Comparées à la grandiose basilique, les dimensions de l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe confèrent davantage d’intimité à cette messe basse, à défaut de dispenser d’un revêtement aussi sonore que celui de Saint-Denis, caisse de résonance idéale pour les sabots dont sont chaussés les membres du chœur.


Il faut saluer ici la direction artistique gémellaire de Maxime Pascal et Damien Bigourdan, que l’on perçoit sans arrêt à la manœuvre... tel le personnage de Lucifer «dont tous les personnages ressentent constamment la pression du regard» (Gaspard Kiejman dans les notes de programme). La prochaine étape, Montag aus Licht, est annoncée pour octobre 2020 dans la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris dans le cadre du Festival d’automne. Incontournable.



Jérémie Bigorie

 

 

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