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Il était une fois une mère et son fils

Bruxelles
La Monnaie
06/11/2019 -  et 13, 16, 18, 21, 23*, 25, 27, 29 juin 2019
Nikolaï Rimski-Korsakov: Le Conte du Tsar Saltane
Ante Jerkunica (Tsar Saltane), Svetlana Aksenova (Tsaritsa Militrisa), Stine Marie Fischer (Tkatchikha), Bernarda Bobro (Povarikha), Carole Wilson (Babarikha), Bogdan Volkov (Tsarevitch Guidon), Olga Kulchynska (Princesse-Cygne/Lyebyed), Vasily Gorchkov (Vieil homme), Alexander Vassiliev (Skomorokh, Marin), Nicky Spence (Messager/Marin), Alexander Kravets (Marin)
Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction musicale)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène, décors), Elena Zaytseva (costumes), Gleb Filshtinsky (vidéo, lumières)


(© Forster)


Le Coq d’or a laissé un excellent souvenir sous le chapiteau en 2016: Laurent Pelly avait brillamment mis en scène cet opéra de Rimski-Korsakov, avec des prestations vocales et orchestrales à la hauteur de cette musique fabuleuse. Avec Le Conte du Tsar Saltane (1900), d’où est tiré le célèbre «Vol du bourdon», la Monnaie réitère la réussite de ce spectacle. Cette coproduction avec le Teatro Real de Madrid devrait convaincre les plus sceptiques que les ouvrages lyriques du compositeur russe, même les plus rares, comme celui-ci, méritent de figurer au répertoire des maisons d’opéra d’Europe occidentale, malgré des arguments très ancrés dans les légendes et la littérature russes, et par conséquent assez éloignés de notre culture.


Dmitri Tcherniakov signe une mise en scène intelligente et sensible de ce conte musical, en mêlant la réalité et l’imaginaire : des hommes et des femmes contemporains côtoient des personnages qui semblent sortir tout droit de livres de contes, comme ceux illustrés par Ivan Bilibine – des sortes de poupées russes ventripotentes fort amusantes. Pourtant, le metteur en scène opte pour un point de vue risqué : Guidon est un jeune autiste, abandonné peu après sa naissance par son géniteur et qui a grandi avec sa mère, célibataire. Un sujet actuel : combien d’hommes, en effet, ne délaissent-ils pas leur enfant et la mère de ce dernier ? Que Guidon soit victime d’un trouble de la personnalité renforce encore plus la tournure dramatique de ce destin, et le spectacle imaginé par Tcherniakov ne toucherait probablement pas autant sans ce détournement du livret. Le sort de cette mère et de son fils trouve ainsi une analogie dans le conte du tsar Saltane, dans lequel se plonge Guidon. Lorsque le tsar et sa cour paraissent au quatrième acte, habillés comme aujourd’hui, en tenue de soirée, dans un saisissant effet de surprise, comme dans le très intéressant Rouslan et Ludmila que Tcherniakov a mis en scène au Bolchoï en 2011, nous sommes totalement convaincus de la force de ce concept respectant tout à fait l’esprit du conte. Ce sont des moments d’émotion comme ceux-là qui nous font aimer encore plus l’opéra.


Aux saluts, ce dimanche, le metteur en scène et ses partenaires brillent par leur absence, et c’est dommage car Elena Zaytseva a imaginé des costumes folkloriques et fantaisistes absolument irrésistibles, et Gleb Filshtinsky de remarquables animations. La manière, faussement simple, de représenter le tonneau, pris dans les flots, et dans lequel sont enfermés Militrisa et son bébé, l’apparition de la Princesse-Cygne ou la cité de Ledenetz se révèle éblouissante – et pour une fois, quel extraordinaire, et exemplaire, usage de la vidéo. L’épisode du bourdon au troisième acte, qui taquine les vilaines sœurs et Babarikha, constitue une totale réussite, avec un humour et une inventivité qui font penser à Laurent Pelly. Le prologue et les quatre actes se déroulent ainsi en état de grâce, malgré l’un ou l’autre aspect un peu moins probant, comme la conclusion durant laquelle une crise psychotique traverse à nouveau Guidon. Et cette mise en scène n’évite pas les tics actuels : l’écriture de mots sur un mur, l’usage de la cigarette pour tromper la lassitude. Mais ces menues réserves importent peu. A l’issue de ce spectacle, un des plus beaux de la Monnaie ces dernières années, il n’y a pas l’ombre d’un doute : Dmitri Tcherniakov compte bel et bien parmi les plus grands metteurs en scène d’opéra, n’en déplaise à ceux qui ne se sont toujours pas remis de ses Troyens en début de saison à l’Opéra de Paris.


La Monnaie a réuni une distribution homogène et parfaitement ajustée. Ante Jerkunica, basse à la voix magnétique et au chant puissant, incarne le tsar avec justesse et sobriété, tandis que Svetlana Aksenova, qui interprète la tsarine avec sensibilité, délivre une prestation vocale au sommet, grâce à un timbre d’une grande beauté et un legato raffiné. Bogdan Volkov signe, quant à lui, une formidable composition en tsarévitch, compte tenu de l’exigence de la mise en scène. Le talent d’acteur ne constitue heureusement pas sa seule qualité : le jeune ténor possède une voix claire, très juvénile, et adopte un style parfait – nous l’imaginons sans peine dans le rôle de l’Innocent dans Boris Godounov. L’alchimie fonctionne en plus parfaitement entre les interprètes de Militrisa et de Guidon, ce qui prouve à quel point Dmitri Tcherniakov excelle dans la direction d’acteur.


Les autres chanteurs tiennent tout aussi remarquablement leur rôle. Stine Marie Fischer et Bernarda Bobro se montrent convaincantes en Tkatchikha et Povarikha, les deux méchantes sœurs de Militrisa, secondées dans leurs sarcasmes par la toute aussi déplaisante Babarikha de Carole Wilson ; cela n’étonne pas de la part de cette chanteuse truculente et très habile dans ce genre de rôle de caractère. Ce trio malfaisant fonctionne à merveille, dans une parfaite entente, preuve une nouvelle fois du talent de Tcherniakov pour sonder la psychologie des personnages dans toute sa diversité. Olga Kulchynska expose, quant à elle, une voix typiquement slave, parfois légèrement râpeuse, moins moelleuse, en tout cas, que celle de Svetlana Aksenova, mais le charme de la Princesse-Cygne, chantée avec agilité et finesse, ne tarde pas à agir. Il faut également saluer la contribution irréprochable des expérimentés Vasily Gorchkov et Alexander Vassiliev. En fermant les yeux, un tort évidemment, en regard de l’inventivité de la mise en scène, nous croyons presque entendre un de ces vieux enregistrements d’opéras russes que nous affectionnons tant.


Ce spectacle tire aussi sa force de la direction rigoureuse et inspirée d’Alain Altinoglu. L’orchestre restitue avec vitalité et précision les beautés de cette musique expressive et imagée, tandis que les sonorités reposent sur une palette diversifiée de couleurs. Admirables de netteté et de virtuosité, les bois accomplissent un excellent travail, de même que les cuivres, éclatants ; en outre, les cordes, d’une belle plénitude, exaltent brillamment les passages lyriques. L’orchestre procure ainsi un vif plaisir, tout comme les choristes, toujours aussi consciencieusement préparés par Martino Faggiani. Dans cette mise en scène qui exploite pleinement leur potentiel, ils chantent avec un accent idiomatique et jouent leur personnage avec enthousiasme. Que la Monnaie pense maintenant à La Légende de la ville invisible de Kitège : elle a les moyens de monter cet immense chef-d’œuvre de Rimski-Korsakov.



Sébastien Foucart

 

 

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