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Sur la pointe des pieds Baden-Baden Festspielhaus 05/05/2019 - et 3 mai 2019 (Bregenz) Richard Wagner : Siegfried Idyll – Wesendonck-Lieder (orch. Felix Mottl)
Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo, musique de ballet, K. 367 (extraits)
Piotr Ilyitch Tchaikovsky : Suite d’orchestre n° 4 en sol majeur « Mozartiana », opus 61 Waltraud Meier (soprano)
Kammerorchester Basel, Paul McCreesh (direction)
W. Meier, P. McCreesh (© ManoloPress/Michael Bode)
Qu’on soit prêts à s’y résigner ou non, Waltraud Meier, à 63 ans maintenant, est en train de se retirer, de mois en mois, inexorablement. Les adieux à Isolde sont faits depuis le Festival de Munich 2015, les derniers Wagner en scène se profilent (Ortrud a jeté ses ultimes imprécations dans Lohengrin à Bayreuth l’été dernier, quelques Waltraute sont encore annoncées dans le Crépuscule des dieux à Vienne, jusqu’en 2020), restent des rôles straussiens de composition (Herodias et Klytämnestra) mais là encore l’agenda s’éclaircit... Peut-être est-ce dans le domaine du lied, qui a été de tout temps son autre passion, que Waltraud Meier consentira à nous tenir le plus durablement compagnie, et ce serait vraiment merveilleux, car à ce stade de sa carrière, elle a vraiment tout à nous y offrir : une voix globalement intacte dès lors qu’elle n’est pas sollicitée à ses extrêmes, une présence scénique extraordinaire et surtout une intelligence dans l’approche qui transparaît à chaque phrase.
Inutile de préciser qu’au cours de la courte apparition de Waltraud Meier sur la scène du Festspielhaus de Baden-Baden, dans les seuls Wesendonck-Lieder de Wagner (aucun complément vocal et pas même de bis), on n’a d’yeux et d’oreilles que pour elle. Port de tête de reine, élégance discrète... même au concert l’actrice demeure en perpétuel éveil, et au travers des textes de Mathilde Wesendonck, pourtant bien modestes parfois, elle nous raconte tout un monde. Evidemment ce sont dans les tristanesques Träume et Im Treibhaus que l’on attend le plus cette magistrale Isolde du passé, et on n’est pas déçu: une sensualité décidément bien particulière, toujours assortie d’une intense noblesse d’expression, voire d’une indicible mélancolie. Sur le dernier vers, « Und dann sinken in die Gruft », le charme enveloppant et impérieux de cette voix unique s’éteint doucement, se fond dans le dernier pianissimo de l’orchestre : la fin d’une époque!
On aura garde d’oublier le rôle pas moins déterminant que Paul McCreesh et l’Orchestre de chambre de Bâle jouent dans ces moments exceptionnels : une exécution de l’orchestration Felix Mottl toute en douceur et en nuances, exceptionnellement travaillée en terme de phrasés et de respirations. C’est de toute beauté, de même que Siegfried-Idyll donné en début de concert. Ces vingt minutes d’orchestre wagnérien allégé sont un peu le passage obligé quand les Wesendonck-Lieder sont à l’affiche, et malheureusement aussi, parfois, un grand moment d’ennui compassé, mais rien de tel ici : une exécution frémissante de vie, un vrai poème d’amour dédié à un être cher, par un orchestre que le chef britannique vient stimuler à chaque instant, d’une gestique assez peu orthodoxe mais efficace.
En seconde partie, écouter la Quatrième Suite d’orchestre dite Mozartiana de Tchaïkovski par Paul McCreesh, musicien essentiellement spécialisé dans la musique baroque, c’est un peu observer ce pastiche mozartien romantique par l’autre bout de la lorgnette : un curieux glissement de perspective ! Composé en 1886 (soit exactement un siècle après la création des Noces de Figaro), l’hommage de Tchaïkovski se voulait une sorte de transfiguration du modèle (représenté ici pour l’essentiel par des pièces pour clavier peu connues, ainsi que par l’Ave verum) grâce aux timbres d’un relativement grand orchestre, maniés avec une certaine opulence. L’original mozartien y reste parfaitement reconnaissable, respecté à la lettre, et pourtant il s’agit d’autre chose : un hybride au charme bizarre, entêtant. Avec Paul McCreesh le scrupule musicologique ne s’éteint jamais complètement et il manque peut-être un peu de sirop et de complaisance à cette interprétation fraîche et nuancée, mais tout cela reste fort joli. En prélude : une interprétation idéale de deux extraits de la musique de ballet d’Idoménée de Mozart (la Chaconne et le Pas Seul de Mr. le Grand), sans lourdeurs, plutôt enlevée, mais sans jamais exagérer brutalement les contrastes, ni de nuances ni de tempo. On sait gré à Paul McCreesh de nous épargner les péché mignons des « baroqueux » dans cette musique, mais ici les instruments sont modernes, ce qui explique peut-être aussi cette modération. En tout cas, l’équilibre obtenu est parfait.
Laurent Barthel
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