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Daniel Harding sur ses terres Paris Philharmonie 05/15/2019 - et 16 mai 2019 Benjamin Britten: War Requiem, opus 66 Emma Bell (soprano), Andrew Staples (ténor), Christian Gerhaher (baryton)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Orchestre de Paris, Daniel Harding (direction)
E. Bell (© Paul Foster-Williams)
A la fois traditionnelle messe des morts et manifeste pacifiste, le War Requiem, où Britten croise le texte de la liturgie latine et les poignants poèmes de Wilfred Owen, mort à 25 ans une semaine avant l’armistice de 1918, est désormais entré au répertoire. C’est la quatrième fois, par exemple, que l’Orchestre de Paris le met à l’affiche. Partition spectaculaire aussi, avec ses trois solistes, son chœur d’adultes et d’enfants, ses deux orchestres – l’orchestre symphonique traditionnel et, pour accompagner les textes d’Owen chantés par le ténor et le baryton, un orchestre de chambre, que dirige parfois un second chef, alors que la soprano reste au fond, associée au chœur.
Commandé pour la reconstruction de la cathédrale de Coventry éventrée par les bombes allemandes, le War Requiem devait y être créé par Galina Vichnevskaïa, Peter Pears et Dietrich Fischer-Dieskau, symbolisant tous trois une humanité enfin réconciliée. La réalité rattrapa l’utopie: si elle put enregistrer l’œuvre dans les studios de Decca, la soprano ne participa pas à la création en 1966, privée de visa par les autorités soviétiques – la remarquable Heather Harper, récemment disparue, la remplaça. Le message de paix de la fin de l’œuvre, où, avant le «Requiescant in pace», Owen fait se rencontrer, sous la terre, un soldat et celui qu’il a tué, n’était pas entendu partout.
Quand il aborde Britten, Daniel Harding est sur ses terres, quoi qu’il dirige du compositeur anglais. Sa maîtrise de l’œuvre impressionne, la puissance et la clarté de sa direction aussi, qui évite tout éclatement entre les différents registres. L’Orchestre de Paris lui répond magnifiquement, auquel il impose des tempos très modérés. Il n’entre pourtant dans l’œuvre que peu à peu, gardant une sorte distance – le Fast and gay de «Out there we’ve walk’d quite friendly up do Death» pourrait être plus grinçant. Le «Libera me», en revanche, entre apocalypse et rédemption, dégage l’émotion dont manquait le début. Mais on retient surtout la beauté plastique de la lecture.
Le chœur est remarquable, d’homogénéité – impeccable fugue du «Quam olim Abrahe» – et de nuances – les a cappella du «Kyrie»; seuls les «Hosannah» tendus du «Sanctus» l’éprouvent. Superbes par la beauté de la voix et la puissance de l’interprétation, les solistes font un peu du Requiem un opéra sacré. On se demandait comment le soprano léger d’Albina Shagimuratova assumerait sa partie. Emma Bell, à sa place, possède exactement le format requis, timbre somptueux, tessiture homogène, émission souple et souffle maîtrisé, de quoi offrir un «Lacrimosa» exemplaire – où Britten rejoint le Verdi du Requiem. Entre théâtralité et intimisme, hallucinés ou extatiques, Andrew Staples et Christian Gerhaher sculptent les poèmes d’Owen, le baryton allemand exploitant tout ce qui est possible en matière d’émission, de dynamique ou de coloration – hagard «Strange meeting», à la fin.
Un beau rêve, enfin: qu’on associe un jour à ce War Requiem le King Priam de Tippett... commandé pour la même occasion et créé un jour avant l’œuvre de Britten.
Le concert en intégralité sur le site de la Philharmonie de Paris:
Didier van Moere
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