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Une sortie de l’oubli méritée Geneva Grand Théâtre 04/30/2019 - et 3, 5, 7, 9, 11 mai 2019 Marc-Antoine Charpentier : Médée Anna Caterina Antonacci (Médée), Cyril Auvity (Jason), Alexandra Dobos-Rodriguez (Nérine), Willard White (Créon), Charles Rice (Oronte), Keri Fuge (Créuse, Premier fantôme), Magali Léger (Cléone, Amour, Première captive), Alban Legos (Arcas, Vengeance, Un Argien), Jérémie Schütz (Jalousie, Troisième captif, Deuxième Corinthien, Un Corinthien), Mi-Young Kim (Une Italienne, Deuxième captive, Deuxième fantôme), José Pazos (Premier Corinthien, Un Argien)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction musicale)
David McVicar (mise en scène), Bunny Christie (décors et costumes), Paule Constable (lumières), Martin Doone (reprise des lumières), Lynne Page (chorégraphie), Gemma Payne (reprise de la chorégraphie), Christopher Cowell (dramaturgie)
(© GTG / Magali Dougados)
Créée en 1693, Médée est la seule tragédie lyrique de Charpentier. Après seulement dix représentations à Paris, l’ouvrage ne sera repris à Lille qu’en 1700 avant de tomber dans l’oubli. Pour son exhumation, il faudra attendre 1984 à l’Opéra de Lyon, sous la direction de Michel Corboz. Dix ans plus tard, ce sera au tour de William Christie de faire découvrir au public les beautés de cette partition unique et singulière. Mais l’œuvre demeure toujours une rareté sur les scènes lyriques. Il convient donc de saluer l’initiative de Tobias Richter, directeur du Grand Théâtre, qui a tenu à programmer l’ouvrage pour sa dernière saison genevoise. La production n’est pas nouvelle puisqu’il s’agit d’une reprise d’un spectacle étrenné en 2013 à l’English National Opera (ENO) de Londres. Le metteur en scène David McVicar a choisi de transposer l’action pendant la Seconde Guerre mondiale, dans un grand palais réquisitionné pour servir de QG aux forces armées. La rivalité entre Jason et Oronte est symbolisée par leur appartenance à deux corps militaires différents, la marine pour l’un et l’armée de l’air pour l’autre. Au lever de rideau, Médée apparaît dans ce décor unique tenant ses deux enfants par la main. A défaut d’idées fortes, David McVicar a conçu un spectacle intelligent et cohérent, offrant de très belles images, même si l’ennui guette parfois, surtout pendant la première partie. Au deuxième acte, le divertissement offert par Oronte à Créuse est prétexte à un ballet qui vire au music-hall, avec l’arrivée de Cupidon dans un avion. L’invocation des puissances infernales au troisième acte est l’occasion d’une chorégraphie beaucoup plus sombre cette fois, avec des personnages maléfiques sortant d’une trappe. Il convient de citer également la scène au cours de laquelle Créon perd la raison en voyant sa fille se démultiplier. Et on n’oubliera pas de sitôt le finale, lorsque Créuse se meure dans sa magnifique robe aux reflets argentés, alors que Médée la regarde agoniser en s’élevant dans les airs.
A Londres, l’ouvrage avait été donné en anglais, comme le veut la tradition à l’ENO. A Genève, l’opéra est bien évidemment chanté en français, ce qui rend pleinement justice au texte de Thomas Corneille (frère cadet de Pierre), qui a une importance primordiale ici. Et d’ailleurs, la diction française de tous les chanteurs est remarquable, à une exception près. Dans le rôle-titre – écrasant –, Anna Caterina Antonacci force l’admiration : rage, colère et fureur sont les principaux ressorts du personnage, mais la chanteuse, grande tragédienne au demeurant, se présente le plus souvent dans la retenue, contenant les émotions du rôle, ce qui rend sa Médée presque touchante d’humanité, malgré sa soif de vengeance terrifiante. Cyril Auvity est un Jason lumineux, aux aigus éblouissants. En Oronte désinvolte et prétentieux, Charles Rice convainc par son timbre séduisant et viril. Keri Fuge confère densité et épaisseur à Créuse, qui est ici une véritable fille de roi, qui plus est d’une grande beauté, et non une simple coquette. On retient également la belle prestation d’Alexandra Dobos-Rodriguez en Nérine particulièrement émouvante. Willard White incarne un Créon noble et autoritaire, même si la voix semble terne et fatiguée et la diction pâteuse. Les chanteurs distribués dans la multitude de rôles secondaires se montrent tous à la hauteur. Dans la fosse, surélevée pour l’occasion, la Cappella Mediterranea, dirigée par Leonardo García Alarcón, fait entendre une musique des plus évocatrices, avec des trésors de couleurs, de nuances et de finesses, sans jamais relâcher la tension dramatique. Au terme de ce spectacle, on se dit que la Médée de Charpentier mérite de sortir de l’oubli.
Claudio Poloni
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