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Matthias Pintscher redéfinit la forme du concert

Paris
Cité de la musique
04/12/2019 -  
«In Between»
Giacinto Scelsi: Anahit (*)
Yann Robin: Art of Metal II
Helmut Lachenmann: Guero – Mouvement (- vor der Erstarrung)
Aureliano Cattaneo: Corda – Deserti (création)
Matthias Pintscher: Study III for Treatise on the Veil (**)

Alain Billard (clarinette), Diego Tosi (*), Jeanne-Marie Conquer (**) (violon), Sébastien Vichard (piano)
Thomas Goepfer, Yann Robin (réalisation informatique musicale IRCAM), Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)
Alexander Fahima (concept, réalisation), Nandor Angstenberger (installation), Katrin Wittig (lumières)


M. Pintscher (© Franck Ferville)


Peut-on échapper au rapport frontal scène/salle et au sempiternel découpage ouverture/concerto/symphonie? Pionnier, Pierre Boulez répondait par l’affirmative à New York dans les années 1970 avec les Rug concerts. Matthias Pintscher lui emboîte le pas: «Aujourd’hui, je sens vraiment la nécessité de redéfinir la forme du concert. Ca ne peut plus seulement être le répertoire que l’on trouve sur le menu du soir. Il faut vraiment changer le format. C’est une autre façon de composer, il faut penser un programme comme une composition»; et d’ajouter: «J’ai toujours rêvé d’une grande soirée immersive où le public peut bouger. Parce qu’habituellement, dans des formats de concert plus conventionnels, on est quasiment attaché à sa chaise. J’ai donc voulu créer un jardin sonore où le public a la possibilité de se retrouver entouré du son et des sources du son. Et en même temps, qu’il ait la possibilité de se déplacer, de se promener et de suivre le son» (entretien complet disponible sur le site internet de France Musique).


Le parterre a été délesté d’une partie de ses rangées de sièges afin d’accueillir une installation de Nandor Angstenberger, sorte de gigantesque toile d’araignée reliant deux cocons selon un axe vertical. Le public est invité à déambuler dans ce «jardin sonore» plongé dans la pénombre. Anahit (1965), sous-titré «Poème lyrique dédié à Vénus pour violon et dix-huit instruments», constitue une excellente entrée en matière. Giacinto Scelsi (1905-1988) s’intéresse moins à la note en tant que hauteur absolue qu’en tant que point-pivot autour duquel gravitent agrégats, trilles et autres quart de tons. Modulé par l’ensemble, avec le violon polyphonique de Diego Tosi en surimpression, le son enfle et s’amenuise, telle une matière organique observée au microscope.


Sans transition, voici un tsunami avec le désormais «classique contemporain» pour clarinette contrebasse Art of Metal II (1974) de Yann Robin (né en 1974). Par rapport à l’interprétation qu’il avait donnée le 21 janvier dernier à la Fondation Louis Vuitton, Alain Billard bénéficie ici d’un dispositif électronique et d’éclairages des plus spectaculaires dû à Katrin Wittig. Flatulences, clappements de langues et raucités d’outre-gorge concourent à façonner un objet musical exhibitionniste et – osons le mot – assez vulgaire, auprès duquel le chuchoté Guero (1969) d’Helmut Lachenmann (né en 1935) relève du jeu des perles de verre. Difficile, placé au premier balcon, de percevoir les sons à la limite du seuil d’audibilité auxquels donne lieu cette auscultation du clavier à fleur de touche. Le percussionniste Samuel Favre officie devant le regard médusé du public, avant que Sébastien Vichard ne prenne la relève pour Corda (2016).


Aureliano Cattaneo (né en 1974) s’est imposé comme l’un des créateurs les plus passionnants de sa génération. Dans sa première pièce pour piano et électronique en temps réel, le compositeur et pianiste italien a tiré profit de son commerce intime avec l’instrument afin d’en démultiplier les facultés via des capteurs placés sur le clavier et la table d’harmonie. Véritable démiurge, l’interprète – impressionnant Sébastien Vichard – incante un monde d’où les clins d’œil ne sont pas exclus (toccata, piano bastringue, résonances impressionnistes...). Composé spécialement pour ce concert, Deserti se révèle le clou de la soirée. Sorte de concerto de chambre d’une virtuosité folle (bravo à Nicolas Crosse pour le solo de contrebasse!), l’œuvre fascine de bout en bout grâce à son sens du discours, sans cesse renouveler, et à sa pulsation tour à tour cachée ou mise au premier plan. Les différents pupitres, fortement individualisés, s’acheminent au fil de l’œuvre vers un jeu de plus en plus mélodique, «hommage caché au madrigal italien» (Cattaneo).


Avec Study III for Treatise on the Veil pour violon (2007), Matthias Pintscher (né en 1971) rend hommage à Cy Twombly dont l’œuvre semble cristallisée dans une éternelle esquisse qu’aucun achèvement ne pourra jamais démentir. «A l’instar des lignes esquissées sur une toile, des notes tenues ("lignes") apparaissent pour développer une dimension supplémentaire de l’espace, en accord avec la perspective sonore» (Pintscher). Le geste au tracé alternativement net et tremblant de Jeanne-Marie Conquer, cantonné dans le haut registre de son instrument, offre un prolongement ad hoc aux désirs du compositeur.


On sera peu disert sur Mouvement (1984), solidement inscrit au répertoire de l’EIC (il existe une vidéo sur YouTube avec les mêmes interprètes), si ce n’est pour souligner la maîtrise souveraine avec laquelle Matthias Pintscher dirige ce perpetuum mobile convulsif, à telle enseigne que les musiciens de l’EIC s’y amusent. Le style réputé intransigeant de Lachenmann aura rarement sonné de manière aussi jubilatoire.



Jérémie Bigorie

 

 

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