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Mes amis, allez voir l’histoire... Paris Opéra Comique 03/30/2019 - et 1er*, 3, 5, 7, 9 avril 2019 Adolphe Adam : Le Postillon de Lonjumeau Michael Spyres (Chapelou/Saint-Phar), Florie Valiquette (Madeleine/Madame de Latour), Franck Leguérinel (Le marquis de Corcy), Laurent Kubla (Biju/Alcindor), Michel Fau (Rose), Yannis Ezziadi (Louis XV), Julien Clément (Bourdon)
accentus, Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Sébastien Rouland (direction musicale)
Michel Fau (mise en scène), Emmanuel Charles (décors), Christian Lacroix (costumes), Joël Fabing (lumières)
(© DR)
Que connaît-on d’Adolphe Adam ? Giselle, « Minuit chrétiens », le « Mes amis, écoutez l’histoire » du Postillon de Lonjumeau, cheval de bataille des ténors que n’effraie pas le contre-ré... C’est ce Postillon que vient d’exhumer l’Opéra-Comique, longtemps un tube du répertoire, tombé ensuite dans l’oubli... surtout en France et à Paris. Le séducteur arriviste Chapelou, fort de sa belle voix, abandonne sa femme le jour de ses noces pour faire carrière à Paris et devient la vedette de l’Opéra. Dix ans après, il entreprend de la conquérir, sans vraiment la reconnaître sous les traits d’une riche héritière qui a juré de se venger... et l’épouse pour de bon.
Ne crions pas au chef-d’œuvre méconnu – Le Postillon, par exemple, n’est pas La Dame blanche. Mais Adam a du savoir-faire, compose habilement, sait flatter la voix et l’orchestre, qu’il pare de jolies couleurs. La partition est un opéra-comique pur jus, créé en 1836, œuvre d’un musicien assez connu pour recevoir des propositions de têtes couronnées, qui finit à l’Académie des Beaux-Arts... où lui succédera Berlioz. Mais si Adam écrit la musique qu’on attend, non sans quelques savoureux décalages, il est familier de la musique de Rameau, dont le nom traverse Le Postillon – au deuxième acte, la Romance de Chapelou/Saint-Phar et l’air de Biju/Alcindor, le charron de Lonjumeau promu coryphée à l’Opéra, parodient l’opéra mythologique.
La production de Michel Fau joue brillamment sur les différents registres, avec une mise en abyme du siècle de Louis XV, des coulisses de l’Opéra – où la troupe se révolte contre ses conditions de travail. Emmanuel Charles associe de grands décors floraux alla Pierre et Gilles à des toiles peintes rappelant celles de l’Académie royale de musique, Christian Lacroix ressuscite brocarts et les paniers. Ce postillon devenu premier ténor poudré et emperruqué, est-ce Chapelou ou le Toulousain Jeyliotte, vedette des opéras de Rameau ? Cette façon de chanter souvent face au public, cette gestuelle convenue et désuète n’est-elle pas aussi clin d’œil à ce passé dont Adam et son époque gardent une secrète nostalgie ? Si la mise en scène joue perpétuellement sur le second degré, Michel Fau, lorsqu’il le faut, sait créer à la fois du mouvement et des personnages – le marquis de Corcy, par exemple, soupirant ridicule. Et il s’attache aux mots, faisant des chanteurs de vrais comédiens – délectables dialogues. C’est rutilant et jouissif.
Le Postillon est un opéra de ténor : Michael Spyres y brille à chaque instant par la maîtrise inouïe de sa voix, de ses registres, de sa dynamique, de son étendue. Le contre-ré ? Il va même au-delà dans l’air du deuxième acte, dont la vocalise finale, à une note près, dégringole quatre octaves après être montée jusqu’au contre-fa ! Qu’on ne s’y trompe pas pour autant : au-delà de la virtuose mécanique vocale, il y a le style, la ligne, le phrasé, l’assimilation des canons d’un certain chant français. Il fait du coup un peu d’ombre à l’impeccable et pétulante Madeleine de Florie Valiquette, vocalise agile mais grave et médium légers. Parfait et drôle Laurent Kubla en Alcindor, impayable Corcy de Franck Leguérinel, incroyable numéro de Michel Fau travesti en soubrette. Ancien assistant de Marc Minkowski, Sébastien Rouland, à la fois vif et fin, dirige en gourmet un orchestre normand plein de verve – à peine déplore-t-on quelques décalages avec l’excellent accentus.
Didier van Moere
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