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Un des duos de pianos actuels des plus brillants et attachants

Paris
Salle Gaveau
03/14/2019 -  
Claude Debussy : Children’s corner [1]
Jacques Ibert : Histoires (extraits) [2]
Maurice Ravel : La Valse [1, 2]
Nikolaï Medtner : Canzona matinata, opus 39 n° 4 – Sonata Tragica, opus 39 n° 5 [2]
Alexandre Scriabine : Préludes, opus 11 (extraits) [1]
Serge Rachmaninov : Suite pour deux pianos n° 2, opus 17 [1, 2]

Ludmila Berlinskaïa [1], Arthur Ancelle [2] (piano)


A. Ancelle, L. Berlinskaïa (© Charlotte Defarges)


Peut-on imaginer deux personnalités aussi différentes que Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle...? L’une au son capiteux, fait de passion et d’instantanéité, au jeu extériorisé; l’autre, à la sonorité franche, allant droit au but, très concentré et qui trace la ligne sans trop s’attarder en route. De ces mille qualités personnelles, unies par une technique redoutable, naît l’un des duos de pianos actuels des plus brillants et attachants.


Souvent sacralisé par la «tradition» française, le Children’s corner de Debussy se magnifie et s’éclaire différemment sous les doigts de Ludmila Berlinskaïa – qui interprétait l’œuvre pour la première fois en concert – en autant de pièces descriptives racontées de manière démonstrative mais en toute simplicité, avec beaucoup de fraîcheur et de tempérament. J’allais dire: sans vouloir faire du Debussy... Beaux timbrages, belles lumières, orientalismes assumés, l’humour où il faut, la tendresse aussi, le tout est servi par une sonorité veloutée.


Arthur Ancelle épure les extraits des Histoires de Jacques Ibert. Aussi fine qu’un trait de plume, la sonorité du pianiste fait ressortir toute la transparence, la clarté de l’écriture du compositeur. Par sa poésie ingénue, ses lignes acérées, ses mystères et ses effleurements, Arthur Ancelle embellit ces pièces qu’il vient de mettre récemment à son répertoire. On goûte à plusieurs reprises le sens descriptif qu’il donne à ces pages dans cette interprétation très figurative. Arthur Ancelle nous raconte les Histoires. La juxtaposition de ces deux cahiers, écrits à moins de vingt ans d’écart, qui restent souvent confinés dans les classes de piano ou dans des exécutions de concours, fait merveille en concert.


La première partie, française, du récital se termine avec une flamboyante exécution de La Valse de Ravel. Ici, tous les particularismes de timbre et de tempérament disparaissent comme par enchantement. Le son est homogène, magnifique d’ailleurs, la mise en place exceptionnelle et les pensées convergentes. Une énergie sans faille traverse cette redoutable partition menée d’un bout à l’autre avec jubilation et parodie, confinant au vertige.


La Canzona matinata et la Sonata Tragica, formant un diptyque que Medtner souhaitait toujours voir associées, ouvraient la partie russe du programme. Page au charme irrésistible que le compositeur enregistra en 1947 dans une atmosphère agogique constante, la Canzona matinata trouve en Arthur Ancelle un interprète élégant, émouvant, se gardant cependant de s’abîmer dans une mélancolie trop accentuée. Véritable tour de force technique, la Sonate Tragica, œuvre complexe qui pourrait apparaître compacte, se déploie comme un torrent de lave, apaisé cependant par la partie centrale, issue de la Canzona. Le pianiste plonge à corps perdu dans cette partition avec tout le sentiment épique nécessaire, dans une espèce d’urgence et dont il sort victorieux.


Elevée à l’école Gnessinne puis au conservatoire de Moscou, avec de grands pédagogues tels Anna Kantor et Mikhaïl Voskressenski, proche de Sviatoslav Richter, Ludmila Berlinskaïa cultive l’art du son mais ne tombe jamais dans des excès de saturation que l’on peut parfois reprocher à certains pianistes soviétiques. Pour tout dire elle ne «tape» jamais. La force vient des épaules, il n’y a jamais ces attaques verticales du bras qui donnent des sons brutaux et cassants. C’est dire toutes les couleurs qu’elle peut peindre dans cette série de Préludes de Scriabine. Finesses, douceurs infinies, mais aussi passion et héroïsme s’expriment avec naturel et intuition dans une compréhension aiguë du style complexe et envoûtant du compositeur.


Le 24 novembre 1901, Rachmaninov et son cousin Alexandre Siloti créent la Seconde Suite pour deux pianos à Moscou. Cheval de bataille des duos de pianos, cette page à l’élan vital irrésistible, à l’écriture aussi bien répartie entre les deux pianos, concluait brillamment le récital. Dès les premiers accents de la Marche, nous retrouvons cette osmose, ces dosages subtils. A plusieurs reprises on sent le souffle de l’intuition de l’un des pianistes immédiatement compris par l’autre, la moindre inflexion de phrasé est suivie, voire anticipée. Les prises de risques sont grandes sur le plan des tempi, cependant parfaitement sécurisées par une synchronisation quasi chirurgicale. L’œuvre s’épanouit dans tous ses climats, nostalgique et rêveur, bouillonnant et passionné, sombre et intense; les voix intérieures sont éclairées, l’architecture solide, les paroxysmes atteints. Nous sommes comblés.


Rappelé de nombreuses fois par une salle Gaveau au public jeune et nombreux, le duo offrait en bis l’irrésistible Snowflakes d’Alexandre Tsfasman, nous évoquant un moment l’époque du mythique duo Wiéner et Doucet.



Christian Lorandin

 

 

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