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Otello sans Shakespeare

Paris
Opéra Bastille
03/01/2019 -  et 10*, 13, 16, 20, 23, 26, 29 mars, 1er, 4, 7 avril 2019
Giuseppe Verdi: Otello
Roberto Alagna*/Aleksandrs Antonenko//Gregory Kunde (Otello), George Gagnidze (Jago), Frédéric Antoun (Cassio), Alessandro Liberatore (Roderigo), Paul Gay (Lodovico), Thomas Dear (Montano), Aleksandra Kurzak*/Hibla Gerzmava (Desdemona), Marie Gautrot (Emilia)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Bertrand de Billy (direction)
Andrei Serban (mise en scène), Peter Pabst (décors), Graciela Galán (costumes), Joël Hourbeigt (lumières)


R. Alagna, A. Kurzak (© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


Fallait-il exhumer cette production d’Andrei Serban, déjà reprise en 2011 ? Pas sûr : même si elle place opportunément Jago au premier plan, elle ne dit rien d’Otello, avec cette direction d’acteurs au premier degré, d’un réalisme naïf, qui nous renvoie des décennies en arrière. Le décor de murs et d’arcades, d’où émerge un palmier rabougri, évoque vaguement le Sud – n’était la mer, ce pourrait aussi bien être celui de Carmen. La routine, en somme, relevée ici ou là d’une pincée de modernité technologique, comme au début, lorsque le chœur se confond avec les vagues de la mer déchaînée. Costumes du XIXe, légèrement exotiques puisque nous sommes à Chypre.


Mais cela comptait-il vraiment ? On voulait surtout afficher Roberto Alagna – et Aleksandra Kurzak, auxquels succéderont à la fin Aleksandrs Antonenko et Hibla Gerzmava. Si la première représentation s’était avérée problématique pour le ténor français, la deuxième le montre en pleine santé vocale. D’un « Esultate » d’une aisance insolente à la mort du Maure, la voix impressionne par un éclat que les ans ont à peine terni, l’homogénéité de la tessiture, avec un passage et un aigu sans dureté, une ligne jamais entachée par une outrance de l’expression. Un Otello souverainement chanté... mais qui, malheureusement, s’en tient là et se montre avare de nuances. Sans doute Alagna veut-il adapter son interprétation à la nature de sa voix, camper un personnage plus humain qu’héroïque. Il n’empêche : il esquive les tortures masochistes de la jalousie délirante, offre un « Dio ! Mi potevi » plus prosaïque que hagard, attendant d’expirer pour nous émouvoir vraiment.


C’est aussi au dernier acte qu’Aleksandra Kurzak se libère, au moment de l’Ave Maria surtout. A cette Desdémone vocalement magnifique, par le timbre, les nuances – superbes pianissimi – ou le phrasé, ne fait défaut qu’un peu plus de vibration, de fragilité, d’innocence blessée. On sait gré au vrai baryton Verdi qu’est George Gagnidze de se maintenir dans une ligne châtiée, mais on attendrait un Jago moins monolithique, vraiment diabolique, plus subtilement pervers. Tous les trois, en réalité, partagent un même défaut : ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur personnage, abandonnés de surcroît par la mise en scène. Ils ont, au fond, oublié Shakespeare. On ne saurait rêver, en tout cas, rôles secondaires mieux tenus – à commencer par le Cassio de luxe de Frédéric Antoun, le Lodovico de Paul Gayet l’Emilia de Marie Gautrot.


Bertrand de Billy déchaîne la tempête, mais ensuite relâche parfois la tension, comme dans le final du troisième acte, très bien tenu au demeurant, comme les ensembles en général. Et cette direction maîtrisée, fidèle à la partition, offre aussi de beaux moments, tel le quatrième acte, d’une grande poésie – plus que la fin du premier, peu sensuelle. Cela dit, on n’aura éprouvé, pendant cet Otello, ni terreur ni pitié...



Didier van Moere

 

 

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