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Mahler à une seule voix

Baden-Baden
Festspielhaus
01/20/2019 -  et 8 (MÜnchen), 10 (Nürnberg), 12 (Hamburg), 14 (Luzern), 16 (Dornach) janvier 2019
Franz Schubert/Luciano Berio : Rendering

Gustav Mahler : Das Lied von der Erde

Jonas Kaufmann (ténor)
Sinfonieorchester Basel, Jochen Rieder (direction)


J. Kaufmann (© Manolo Press/Michael Bode)


A quelles voix confier Das Lied von der Erde ? Rappelons que Mahler lui-même n'a jamais pu entendre l’œuvre dans son véritable appareil symphonique, et que les usages n’ont été consolidés qu’ensuite, par Bruno Walter et Otto Klemperer. Dans sa partition Mahler requiert expressément un ténor pour les mouvements impairs, et pour les trois autres un alto, avec «éventuellement» la possibilité d’un baryton, qui chante en ce cas en transposant à l’octave inférieure. Or les premières expériences d’un Chant de la Terre exclusivement masculin s’étant avérées peu concluantes, ce n’est que suite à l’interprétation plus tardive de quelques barytons d’exception (et tout particulièrement Dietrich Fischer-Dieskau, doté d’un aigu facile et chatoyant) que cette alternative est devenue crédible.


Mais qu’une seule et même voix chante les six mouvements d’affilée, comme le fait en ce moment Jonas Kaufmann, reste à notre connaissance un fait unique, que ce soit au concert ou au disque. Techniquement l’exploit est possible parce que la transposition de la ligne vocale des mouvements pairs n’est que d’une octave vers le bas, et ne sollicite donc la tessiture du baryton que dans le médium et l’aigu. Cette même transposition est aussi accessible, dans l’autre sens, à un ténor, au prix de quelques notes franchement graves mais donc aucune n'est complètement hors de portée. Cela dit, si Jonas Kaufmann a pu finalement concrétiser ce vieux rêve de jeunesse (qu’il aurait fait d’emblée en découvrant l’enregistrement de Fritz Wunderlich et Christa Ludwig et en essayant d’en explorer vocalement toutes les parties), c’est aussi parce qu’ici on est dans un contexte de «lieder symphoniques» et non d’opéra, ce qui laisse la possibilité de certains escamotages techniques, que la clarté et l’intensité de la diction peuvent faire oublier.


Le Chant de la Terre à une seule voix, enregistré par Jonas Kaufmann avec les Wiener Philharmoniker et Jonathan Nott, avait suscité des appréciations mitigées. Mais peut-être moins du fait de ces considérations purement techniques que d’une relative pâleur d’ensemble, comme si ce qu’y proposait Kaufmann manquait en quelque sorte de maturité, de longue familiarité avec les deux emplois. Aujourd’hui au concert, dans le cadre d’une petite tournée, la perspective est devenue différente et l’approfondissement paraît indéniable, même si certains problèmes vocaux demeurent difficiles à surmonter. Et d’abord, à l’évidence, parce que Kaufmann a du mal à descendre, comme tout ténor dramatique, en dessous de l’ut inférieur. Alors a fortiori quand il se retrouve à devoir émettre un si bémol grave (sur «Ich hab’ Erquickung not» dans le second Lied), la note ne sort pas, mais il lui suffit de la faire deviner, en la parlant, pour qu’on se laisse abuser.


Cela dit, assez curieusement, ce sont ces trois mouvements «graves» qui posent en définitive le moins de problèmes, hors quelques notes extrêmes. En revanche, les pages pour ténor, qui devraient sonner glorieusement, laissent dubitatif. Parce que le timbre de Kaufmann reste plus proche d’un baryton clair que d’un vrai ténor claironnant, mais aussi parce que l’exécution paraît souvent fautive en précision et en justesse. L’entrée, très exposée, prend du temps à s’affermir (avec un premier gruppetto totalement escamoté, alors qu’il est pourtant noté avec des accents), mais surtout les mouvements 3 et 5 laissent de curieuses impressions d’approximation, la voix, de plus en plus fatiguée, semblant se caler sur certaines notes-clés et se contenter d’émettre le reste dans une nébuleuse confusion (très fragile dernière minute du cinquième lied, par exemple, où seuls les sol, la et si aigus servent de balises et où le reste paraît bien imprécis et brumeux). En comparaison les mouvements «pour baryton» paraissent globalement moins périlleux, même si là Kaufmann paraît manquer des outils expressifs requis, semblant un peu pâle dans sa projection, comme s’il hésitait à vraiment jouer sur les reflets du timbre voire à faire claquer les consonnes allemandes. Ici la comparaison avec un Hampson ou un Fischer-Dieskau ne jouerait pas en sa faveur : tout est un peu grêle, manque de chair, même si la volonté de bien faire reste évidente.


Passe-t-on néanmoins une bonne soirée ? Assurément oui, parce que le ténor munichois possède un vrai rayonnement physique et musical en scène, et parce que découvrir ainsi une partition que l’on pensait bien connaître est intéressant. Au lieu d’une alternance on récupère une structure d’un seul tenant, en arche, qui n’a en fait rien de monotone mais au contraire affiche une cohérence supplémentaire. A la fin de l’«Abschied» on a vraiment l’impression de terminer un long voyage, au cours duquel de toute façon on ne s’est jamais ennuyé. Ce aussi en raison de l’excellent soutien de l’Orchestre symphonique de Bâle, instrumentalement assez sûr, et qui sonne bien mieux qu’un simple faire valoir, sous la direction d’une belle précision de Jochen Rieder.


Première partie de concert en revanche assez peu investie : un Rendering de Schubert/Berio qui manque de consistance, autant dans les parties originellement schubertiennes, jouées assez naïvement, que dans les ajouts de Berio, qui manquent de mystère, faute de davantage de virtuosité dans l’exécution. Cela dit, faire découvrir cette belle partition à un public qui n’est certainement pas venu prioritairement pour cela, reste une proposition d’une audace judicieusement ciblée.



Laurent Barthel

 

 

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