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Fragments de cygnes

Strasbourg
Opéra national du Rhin
01/10/2019 -  et 11, 12, 13, 14, 15 (Strasbourg), 24, 25 (Colmar) janvier, 1er, 2, 3 février (Mulhouse), 27, 28, 29, 30 mars (Paris) 2019
Le Lac des cygnes (création)
Radhouane El Meddeb (chorégraphie), Piotr Ilitch Tchaïkovski (musique)
Ballet de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Hossein Pishkar (direction)
Annie Tolleter (décors), Celestina Agostino (costumes), Eric Wurtz (lumières)


(© A. Poupeney)


Le Lac des cygnes ? Pas vraiment. Ou si peut-être, mais en ce cas réduit à moins de la moitié. Au fil des strates de traditions accumulées pendant près de cent cinquante ans, pas une des versions de ce ballet ne ressemble tout à fait à une autre, mais cette fois les ciseaux ont fonctionné de façon totalement désinhibée. Les actes 1 et 2 échappent au pire – à quelques interversions et une demi-douzaine de pièces manquantes près (et pas des moindres : rien par exemple du conséquent n° 5, qui contient pourtant l’un des plus riches solos de violon de l’ouvrage...) – mais ensuite le trou est béant : on passe de la coda de la Danse des cygnes (n° 13 usuellement, toujours si on se réfère à la partition originale)... au n° 27! Là c’est le grand écart, avec un acte 3 qui passe intégralement à la trappe (dramatiquement peu utile cet acte ? Ce n’est pas faux, mais quand même...).


Il reste environ 70 minutes de musique. C’est peu, mais il faut faire avec, et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg s’y lance avec d’autant plus d'énergie que le temps disponible pour briller est limité. Le chef iranien Hossein Pishkar dirige moins en spécialiste de ballet qu’en bon gestionnaire des effets, avec des tempi volontiers ultra-rapides (le n° 28 par exemple, négocié à fond de train) qui ne favorisent pas toujours la sérénité de pupitres parfois tendus (une flûte raide, un premier violon nerveux, des trombones pagailleux). En partie une tension liée à cette soirée de première, et puis toujours le retentissement pervers d’une acoustique de fosse peu généreuse, mais malgré ces aléas l’interprétation se tient, avec un souffle, une musicalité, voire un idiomatisme russe indéniables. On ne dira jamais assez la beauté de cette partition, qui transcende les conventions d’époque voire permet à l’orchestre de relever toute une gamme de défis (une série de solos très attendus, assumés ici sans aucune défaillance). Le Lac des cygnes est à tous égards aussi un «ballet d’orchestre» et bien davantage encore ce soir, où faute de pouvoir arrimer durablement son attention à ce qui se déroule sur le plateau, on avoue avoir passé bien davantage de temps que d’habitude à écouter et regarder la fosse.


Car ce qu’édifie le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb autour de cet incontournable du ballet romantique relève davantage d’une totale redistribution des cartes que d’une lecture, même distanciée ou modernisée. Il n’y est plus question ni d’action, ni d’anecdote, ni même de personnages. Le corps de ballet est présenté comme un microcosme dont on reconnaît à première vue tous les modes de fonctionnement professionnels (les tutus accrochés sur des portants dans un coin, les coulisses apparentes où l’on va se désaltérer et souffler un peu, et tout le vocabulaire technique habituel de la danse classique auquel chacun paraît libre de tantôt s’adonner tantôt de renoncer). Mais il n’en émerge rien de construit, comme si chaque danseur cherchait continuellement à trouver quelque chose... sans vraiment le trouver. Cela commence par cinq bonnes minutes sans orchestre où on déambule, on investit lentement le plateau et l’avant-scène, comme si déjà il fallait se fédérer, entreprendre, pour occuper la soirée. Et puis l’orchestre attaque, les danseurs s’animent un peu, se jaugent plus activement, leurs regards se croisent avec davantage d’insistance, les groupes s’assemblent et se défont. Emergeront çà et là quelques archétypes d’un vocabulaire Petipa immédiatement reconnaissable (battements de bras typiquement « cygnes », danse sur les pointes) mais toujours par fragments qui soit avortent soit s’obstinent longuement jusqu’à une frénésie épuisante. Hormis une prééminence accordée à deux danseurs, Céline Nunigé et Riku Ota (qui n’incarnent pas vraiment les personnages d’Odette et Siegfried mais en sont perçus comme un reflet symbolique, une ombre portée), la répartition de ces moments de tension paraît démocratique, voire délibérément en porte-à-faux (les hommes aussi montent sur les pointes, voire dansent à quatre la fameuse « Danse des petits cygnes »... les Ballets Trockadero ne sont pas loin !).



(© A. Poupeney)


Le fil conducteur de ce spectacle est apparemment qu’il n’y en a pas vraiment, ou du moins qu’il appartient à chacun d’essayer de le trouver. Personnellement on avoue avoir été surtout agacé par la lenteur de la progression. Une chorégraphie où l’on passe trois quarts d’heure à défiler sans jamais se toucher nous paraît déjà se priver d’un des leviers essentiels d’un ballet de grand format : l’interaction directe des corps. A partir de l’acte II arrivent les premiers portés (et symboliquement ils sont exclusivement masculins), mais auparavant voir par exemple autant de danseurs simplement tourner en rond en courant pendant un numéro entier nous paraît bien vain et vide. Quelques moments à retenir entre de longues plages d’ennui : un beau solo masculin sur la célèbre « Polonaise », inséré d’une façon originale dans l’espace et magnifiquement incarné par Jean-Philippe Rivière, ou encore les deux derniers numéros, dramatisation subite (enfin !), sorte de chorée tourbillonnante qui affecte les deux solistes jusqu’à une mort inéluctable. Et pour ce qui est de l’atmosphère générale : de subtils éclairages dorés mais peu variés, les costumes singuliers de Celestina Agostino, quintessences de robes de mariée réduites à des shorts de satin blanc assortis de quelques guipures et fragments de tulle. Une création que l’on peut vraisemblablement ressentir de multiples façons, mais dont les messages, originaux et poétiques sans doute, paraissent singulièrement ténus, évasifs. En un mot, faibles ?



Laurent Barthel

 

 

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