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L’Américain à Paris, enfin Paris Philharmonie 01/09/2019 - et 10 janvier 2019 Hector Berlioz : Le Carnaval romain, opus 9
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
Johannes Brahms : Symphonie n° 2, opus 73 Yuja Wang (piano)
Orchestre de Paris, Michael Tilson Thomas (direction)
M. Tilson Thomas (© Art Streiber)
On peine à le croire : Michael Tilson Thomas n’a jamais dirigé l’Orchestre de Paris – alors qu’il a été l’hôte du National dans les années 1980 et 1990. Le concert qu’ils viennent de donner attisent nos regrets – d’autant plus qu’il a évolué avec le temps. Le Carnaval romain confirme ses affinités berlioziennes, à travers une pâte sonore à la fluidité sensuelle – l’Andante sostenuto est magique, un souci du détail qui renouvelle ici ou là notre perception de l’œuvre, une euphorie maîtrisée pour le tourbillonnant saltarello de l’Allegro vivace. On peut rêver verve plus flamboyante, plus dionysiaque, mais l’Américain ne voit pas Berlioz ainsi – pas plus que dans son Roméo et Juliette récemment paru, d’une plasticité assez apollinienne. Magnifique, en tout cas.
On avait parfois envie d’écouter plus l’orchestre que le piano dans le Concerto de Schumann, où Yuja Wang a artificiellement brillé. Certes la maîtrise digitale peut impressionner, notamment à la main gauche. Une certaine légèreté dans la puissance, aussi. Ou l’éventail dynamique. Mais le jeu manque de profondeur et de couleurs, l’interprétation trahit un sens de la forme très relâché, sans parler d’une évidente confusion entre la pose chichiteuse et l’émotion véritable – le milieu de l’Intermezzo se supporte difficilement. Pour le reste, laissons aux mauvais esprits leurs commentaires sur la robe moulante généreusement décolletée dans le dos... Tilson Thomas, lui, fait chanter l’orchestre de Schumann à travers une lumière veloutée : on se demande s’ils jouent la même œuvre. Les bis, en tout cas, font de l’effet : aérienne Romance sans paroles opus 67 n° 2 de Mendelssohn, facétieux arrangement par Karol Tausig du « Contrebandier », extrait du Spanisches Liederspiel de Schumann.
La Deuxième Symphonie de Brahms va plus loin encore que Le Carnaval romain dans l’art de sculpter amoureusement la sonorité – on n’entend pas toujours les cordes de l’orchestre aussi soyeuses –, de faire saillir les contrechants, de creuser la dynamique également, avec des crescendos idéalement dosés. Narcissisme ? Non, parce que, s’il y a ici une liberté presque rhapsodique, la direction ne néglige jamais la cohérence d’une forme rigoureusement élaborée, entre autres dans le parfait équilibre ente tension et détente : elle bâtit un portique, de l’Allegro non troppo initial, assez ample, aux couleurs automnales, jusqu’au final où l’été semble éclater – comme si la partition constituait une sorte de Quatre saisons brahmsiennes. Lecture à la fois très pensée et très lyrique, très « pastorale », gorgée de couleurs, où tout chante – voire danse, presque, comme lorsque viennent les seconds thèmes des mouvements extrêmes ou, évidemment, le printanier Allegretto grazioso. L’orchestre a l’air aussi séduit que nous.
Didier van Moere
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