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Vous nous chanterez bien quelque chose ?

Baden-Baden
Festspielhaus
11/30/2018 -  25 (Frankfurt), 28 (München) novembre 2018
Antonín Dvorák : Légende, opus 59 n° 6 – L’Amant abandonné, opus 29 n° 4 – Danse slave, opus 46 n° 5 – Symphonie n° 6 en ré majeur, opus 60
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 1 en ut majeur, opus 15

András Schiff (piano)
Budapesti Fesztiválzenekar, Iván Fischer (direction)


(© Andrea Kremper)


Avant d’entamer la courte tournée qui fait halte ce soir au Festspielhaus de Baden-Baden, l’Orchestre du Festival de Budapest et Iván Fischer ont joué trois fois ce même programme dans leur ville d’attache, mais pas avec le même pianiste. C’est le jeune Zoltán Fejérvári qui s’est chargé du Premier Concerto de Beethoven à Budapest ainsi qu’à Varsovie, András Schiff prenant la relève partout ailleurs, vraisemblablement pour la raison toute simple que le pianiste hongrois refuse depuis plusieurs années de mettre les pieds dans son pays natal, même à titre privé, en raison d’un désaccord politique durable avec le régime de Viktor Orbán. Pour András Schiff et l’Orchestre du Festival de Budapest, ces retrouvailles entre compatriotes à l’étranger prennent dès lors une importante valeur symbolique, d’où sans doute le sentiment de complicité et de chaleur très particulier qui émane de ce concert.


Car l’idiomatisme hongrois paraît de toute façon extrêmement fort dans l’orchestre d’Iván Fischer, formation dont le recrutement reste à 90 % local. On peut écouter là un sens du rebond rythmique voire de la couleur instrumentale très particuliers, et dont le chef sait tirer le maximum d’effets. En comparaison de cette joyeuse réactivité instantanée, l’inertie de la lourde machine des Berliner Philharmoniker, en mars dernier sur le même plateau et sous la même baguette, n’en paraît rétrospectivement que plus patente. Et puis il y a aussi, depuis très longtemps, dans l’éducation hongroise, des particularités ubiquitaires qui font que tout enfant d’âge scolaire y apprendra à chanter et que tout jeune musicien y bénéficiera forcément d’une solide formation chorale. Le programme de la soirée mentionnant bizarrement un chœur de Dvorák en deuxième position, on s’attend donc implicitement à en écouter une transcription instrumentale inédite. Or pas du tout : après une exécution très poétique de la Sixième Légende de Dvorák, tous les musiciens abandonnent leurs instruments respectifs et transforment à vue l’Orchestre du Festival de Budapest en une chorale de très bon niveau ! Aviez-vous déjà entendu un orchestre symphonique chanter à quatre voix ? Le cas reste unique, et a fortiori quand le résultat s’avère aussi présentable, certes moins homogène que celui que peut obtenir un chœur professionnel, mais tout à fait digne et nuancé. Et ensuite chacun peut retourner à son instrument coutumier, pour une Danse slave de Dvorák d’anthologie, où le moindre accent semble marqué avec un poids à la fois millimétré et d’une totale spontanéité apparente.


Après ces savoureux hors-d’œuvre, András Schiff entre en scène pour un Premier Concerto de Beethoven qui va se révéler lui aussi très original. L’aisance du soliste est comme toujours totale, donnant l’impression d’un texte invariablement maîtrisé, joué comme si les personnalités de l’interprète et du compositeur en venaient à fusionner. Au point d’ailleurs que Schiff n’hésite pas à en rajouter, en traitant certains passages avec une fine dose d’humour. Telle cette section marquée cantabile dans le Largo, où le pianiste accentue ostensiblement chaque première note des triolets d’accompagnement comme s’il s’agissait d’une petite valse viennoise, effet d’autant plus détonnant qu’il sera immédiatement repris par l’orchestre (la complicité entre pianiste et chef paraît phénoménale : vraiment deux joyeux drilles qui s’amusent, en toute liberté). Deuxième mouvement de bout en bout magique grâce aussi à la clarinette rêveuse et caressante d’Akos Acs, merveilleux musicien qui nous avait déjà offert ici-même il y a deux ans un Concerto pour clarinette de Mozart de référence. A noter aussi une cadence du premier mouvement des plus foldingues, où le pianiste n’en finit plus de rattraper ses bouts de thème en les noyant dans des traits de virtuosité qui font sans cesse pressentir une résolution prochaine qui n’arrive jamais. La cadence tarde, tarde (plusieurs longues minutes)... pour mieux prendre en définitive (et faussement) l’orchestre au dépourvu, les musiciens faisant tout à coup mine de ne plus savoir s’ils sont enfin autorisés à effectuer leur rentrée ou s’ils doivent continuer à prendre leur mal en patience. Autre fantaisie : dans le premier mouvement, la longue gamme de doubles croches descendantes à deux mains juste avant la réexposition, remplacée par un brillant glissando de la main droite seule. L’effet est sensationnel mais quand même assez curieux. En tout cas une exécution unique, tant par son niveau musical que par sa façon très haydnienne de s’amuser à haut niveau (ce qui, pour ce Beethoven là, n’est certainement pas un contresens).


Au moment du bis, András Schiff revient avec une partition sous le bras. Mais l’orchestre, au lieu de rester sagement assis, s’agglomère à nouveau en chorale (!). Cette fois c’est autour du piano que tout le monde se regroupe, pour une jolie exécution de Der Greis (Le Vieillard), bref chœur à quatre voix avec piano de Haydn. Le rôle de l’accompagnateur est modeste mais l’ambiance est conviviale et on s’amuse bien. Dans un autre contexte, on imagine bien tout ce monde se mettant à table autour d’un bon verre de tokay pour finir la soirée !


A défaut, le concert va s’achever en feu d’artifice slave, avec un Sixième Symphonie de Dvorák mise en valeur jusqu’au moindre détail. Inutile de souligner la sûreté technique du jeu instrumental, tant elle se fait oublier. Prévaut surtout l’impression d’un naturel total, d’une respiration à la fois spontanée et constamment relancée par le chef pour aller plus loin dans la construction. Pourtant ce Dvorák-là n’est pas des plus faciles, avec son discours parfois relativement décousu, surtout dans les deux premiers mouvements. Mais rien de tel que le merveilleux mélange de rigueur et de souplesse que l’on peut observer dans la battue d’Iván Fischer pour réussir à faire prendre exactement la bonne consistance à ce curieux mélange de Brahms, de Bruckner et de folklore bohème stylisé. Le dosage est parfait, notamment dans les nombreuses séquences de l’Adagio, qui viennent à chaque fois braquer les éclairages sur des alliages de timbres instrumentaux encore différents. On s’attendait à un troisième mouvement énergique, et ce pétulant Furiant ne déçoit pas, mais après cette démonstration impeccable, il reste encore à Iván Fischer et son orchestre quelques crans de célérité et de brio supplémentaires, pour un Final qui se résout en un tourbillon vertigineux. A ce moment la virtuosité de la performance prend assurément le pas sur le strict intérêt musical d’une page peut-être un peu moins inspirée que le reste de cette symphonie, mais peu importe. Il ne reste qu’à s’incliner devant le tour de force.


Les musiciens de l’Orchestre du Festival de Budapest se sont tellement investis tout au long de ce passionnant programme, qu’on ne leur tiendra pas rigueur de ne plus nous accorder le moindre petit bis magyar survitaminé pour conclure. Ni d’ailleurs de ne plus rien chanter !



Laurent Barthel

 

 

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