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A l’épreuve du Nord

Strasbourg
Palais de la Musique
11/14/2018 -  et 15*, 16 novembre 2018
Esa-Pekka Salonen : Helix
Jean Sibelius : Concerto pour violon en ré mineur, opus 47
Johannes Brahms : Symphonie n° 4 en mi mineur, opus 98

Charlotte Juillard (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Axel Kober (direction)


C. Juillard


A Strasbourg, Axel Kober n’est pas vraiment qu’un simple chef invité. Y avoir dirigé l’Orchestre philharmonique pour sept représentations de Tristan et Isolde à l’Opéra du Rhin en 2015, dont cinq entassés dans la fosse incommode du Théâtre de la Place Broglie, crée quand même quelques liens durables, voire des réflexes de cohabitation qui peuvent immédiatement recommencer à fonctionner sans préavis. On peut juger de cette réactivité dans une Quatrième Symphonie de Brahms où tous les musiciens paraissent d’emblée impliqués, voire stimulés par une direction énergique. Une exécution instrumentalement assez exemplaire, y compris du côté d’un pupitre de cors non seulement juste mais prodigue de couleurs intéressantes. Belle cohésion des cordes aussi, avec de puissantes assises graves. Et puis surtout on ressent un orchestre constamment pris en main, au service d’une lecture tendue, sans fléchissement, qui culmine dans les majestueuses récurrences du thème du dernier mouvement, impeccablement ordonnées. Une vision assez grandiose d’allure, pour ne pas dire rude voire parfois un peu raide, mais aussi une démonstration technique dont on apprécie la grande sécurité. Incontestablement, l’ensemble fonctionne, ce qui dans une symphonie aussi vétilleuse à mettre au point constitue déjà un bel aboutissement.


En début d’année, le Concerto pour violon de Sibelius devait être interprété ici-même par le violoniste coréen Dong-Suk Kang, lequel avait finalement jugé plus prudent de se rabattre au dernier moment sur le Second Concerto de Mendelssohn, un peu plus sécurisant techniquement. Dès lors la voie était libre pour Charlotte Juillard, premier violon super soliste en titre de l’orchestre, qui a pu choisir de se mesurer quelques mois plus tard à ce concerto réputé assez dangereux techniquement. Devant ses pairs, la jeune Française ne se laisse pas du tout intimider, avec une sonorité joliment timbrée qui fait merveille dès l’introduction : une phrase délicatement posée, subtile, mystérieuse, d’une grande poésie. Ensuite, confrontée à des passages d’une virtuosité parfois redoutable, Charlotte Juilliard ne peut pas s’imposer avec le même aplomb qu’un soliste international itinérant qui travaille tous les jours ses Caprices de Paganini, mais elle parvient à négocier ces obstacles en gardant constamment une musicalité qui lui est propre. Certains passages caracolants – dont la fin du premier mouvement, qui expose immanquablement au danger de ne pas rester parfaitement ensemble sur les dernières mesures (ici la synchronisation reste bien réalisée, soliste et chef ne se quittant pas du regard), voire l’ensemble de l’Allegro final – manquent d’un rien de panache pour emporter vraiment l’auditeur au delà de l’impression d’une lecture encore un peu étriquée aux entournures. Mais en tout cas le défi, assumé de surcroît par la soliste sans partition (ce qui n’est pas forcément évident pour une musicienne d’orchestre), paraît relevé avec élégance, voire des moments particulièrement inspirés dans un Adagio rêveur à souhait. Très joli bis ensuite, où Charlotte Juillard prend place près de la harpe pour interpréter avec beaucoup de pureté dans l’intonation la délicieuse Romance opus 78 n° 2 de Sibelius, charmante musique de salon à laquelle le passage du piano aux cordes pincées de la harpe confère encore plus d’agrément et de légèreté (accompagnement détaillé par Pierre-Michel Vigneau, avec une assurance dans l’exécution des traits qui laisse pantois).


Pour ouvrir ce concert, d’une tonalité globalement septentrionale, l’étrange Helix, pièce signée par Esa-Pekka Salonen en 2005, suite à une commande de l’Orchestre de la BBC. Une œuvre d’allure ouvertement mathématique, du moins si on tient absolument à déchiffrer la façon dont le chef finlandais s’aventure à la présenter : « On peut décrire la forme de Helix comme une spirale ou une volute, ou bien, de manière plus académique, comme une courbe qui repose sur un cône et forme un angle constant avec les droites parallèles à la base du cône » (sic). Peut-être vaut-il mieux en définitive ne pas se laisser effrayer par l’énoncé, car le langage de ces neuf minutes paraît surtout nourri d’influences sonores héritées de la première moitié du XXe siècle (Debussy, Stravinsky, Bartók...). Quant à l’effet de giration obtenu en modifiant progressivement les durées, il paraît habilement combiné, voire assez grisant une fois les premières pages un peu statiques passées. Pour les musiciens, et a fortiori pour leur chef invité d’un soir, une sorte d’étude de rythme à la fois exigeante et gratifiante : somme toute une vraie « musique de chef d’orchestre », terme que l’on n’emploiera pas forcément ici avec la même nuance un rien péjorative que nos voisins allemands instillent dans la dénomination équivalente de « Kapellmeistermusik ». En tout cas un curieux manège, dans lequel l’Orchestre philharmonique de Strasbourg nous entraîne avec classe et sécurité, appuyé en arrière-plan par une impressionnante rangée de percussionnistes qui resserre progressivement le diamètre de cette implacable hélice.



Laurent Barthel

 

 

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