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Souvenirs de la maison des morts

Metz
Opéra-Théâtre
11/16/2018 -  et 18, 20 novembre 2018
Pierre Bartholomée: Nous sommes éternels (création)
Karen Vourc’h (Estelle), Sébastien Guèze (Dan), Mathieu Gardon (Helleur), Aline Metzinger (Nicole), Joëlle Charlier (Tirésia), Benjamin Mayenobe (Adrien), Mikhael Piccone (Alwyn), Thomas Roediger (Dr Minor), Tadeusz Szczeblewsky (Monsieur Voisin), Samy Camps (Le Mari d’Estelle), Paul Bougnotteau, Sébastien Amblard (Les Deux Types), Mathieu Duval (Phil), Melina Dumay (La fillette), Matthew Voss/Louis Muthig (Dan enfant), Louise Garnier/Jade Schoenhentz-Kzink (Estelle enfant), Line Ghin/Louise Lorelli (Adrien enfant)
Orchestre national de Metz, Patrick Davin (direction)
Vincent Goethals (mise en scène), Aurélie Barré (chorégraphie), Anne Guilleray (décors), Dominique Louis (costumes), Philippe Catalano (lumières), Emilie Salquèbre (vidéo)


(© Luc Bertau/Opéra-Théâtre de Metz Métropole)


Metz accueille la création du troisième opéra de Pierre Bartholomée (né en 1937), Nous sommes éternels, d’après le roman de Pierrette Fleutiaux, qui a remporté le prix Femina en 1990. L’écrivaine en a rédigé le livret, en français, avec Jérôme Fronty, qui a pris contact avec le compositeur belge en 2009 pour lui proposer ce sujet. Ce projet incertain et de longue haleine, comme le laisse penser la lecture du programme, trouve enfin son aboutissement.


Réduire ce roman approchant des neuf cents pages en format de poche en un opéra de deux heures constitue une véritable gageure en regard de la complexité du propos. Cet ouvrage mobilise, de ce fait, une distribution importante autour du personnage central d’Estelle, seule survivante de sa famille. Avec son compagnon et la jeune fille de ce dernier (deux rôles parlés), elle retrouve la maison de sa jeunesse, qui dissimule un lourd mensonge et où se déroula une relation d’amour interdite entre elle et son frère, Dan. La mise en scène de Vincent Goethals, sa deuxième à l’opéra, mélange efficacement onirisme et réalité et parvient plutôt bien à suggérer les retours en arrière, grâce au décor, aux costumes et aux lumières, bien qu’il ne soit pas simple de tout saisir dans cette histoire.


Le spectacle se déroule dans et autour de cette demeure qui, légèrement inclinée, semble s’enfoncer dans le sol – une belle scénographie, compte tenu des moyens du bord, mais elle peine à convaincre dans le deuxième acte, censé se dérouler à New York. Il aurait fallu de tout autres ressources, probablement hors de portée de l’institution mosellane, pour représenter ce déplacement géographique et temporel de manière plus convaincante. La vidéo bien conçue d’Emilie Salquèbre intervient ponctuellement pour évoquer le bonheur passé ou illustrer la passion charnelle entre le frère et la sœur.


La direction d’acteur précise et l’occupation de l’espace optimale attestent de la longue expérience au théâtre de Vincent Goethals – nulle pose stéréotypée, mais des personnages et des situations authentiques. De belles intentions animent le metteur en scène qui aborde ce sujet compliqué avec sensibilité. L’émotion que ce drame douloureux devrait normalement provoquer peine toutefois à percer, ce spectacle sans pause accusant quelques longueurs – ce ressenti reste malgré tout personnel. La matière de cette histoire parlant d’inceste, de guerre et de sida nous paraît un peu trop riche pour un opéra de deux heures, durée, de toute façon, habituelle pour les ouvrages lyriques d’aujourd’hui.


Pierre Bartholomée compose sa musique dans un idiome moderne, mais elle reste accessible et épouse étroitement le drame. Nous retrouvons avec plaisir les caractéristiques le langage du compositeur, plusieurs années après Œdipe sur la route (2003), contre toute attente tardivement édité au disque, et La Lumière Antigone (2008), tous deux inspirés du même auteur, Henri Bauchau, et créés à la Monnaie. L’écriture de nature chambriste – l’orchestre sonne rarement en tutti – ne possède pas tout à fait l’inventivité et la puissance dramatique de celle de Philippe Boesmans, son compatriote et contemporain dont il a dirigé les œuvres, en particulier lorsque le compositeur officiait à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège. Mais la contribution de Bartholomée confère, à elle seule, toute sa valeur à cet opéra, par la force d’une composition cohérente, finement élaborée et pensée pour la voix. Sans être fortement originale, cette musique se révèle assez personnelle, tant il paraît difficile, et même vain, de la rapprocher de celle de compositeurs plus illustres.


Cette création bénéficie d’une distribution investie et au point. Les nombreux personnages d’importance variable sont fort bien tenus; même les jeunes garçons et filles incarnant Estelle, Dan et Adrien dans leur enfance assimilent cette écriture sans difficulté apparente, bien que leur voix paraisse de par leur nature peu puissante et que ces jeunes interprètes chantent avec moins de précision que les professionnels. C’est surtout Karen Vourc’h qui attire l’attention, Estelle magnifique, par sa beauté, sa présence et sa voix. Cette incarnation aboutie trouve dans le Dan de Sébastien Guèze, toujours très investi dans les rôles qu’il aborde, un juste contrepoids. La prestation de cette soprano expérimentée dans le répertoire contemporain restera plus longuement dans la mémoire que celles de ses partenaires, mais il convient de saluer le Helleur de Mathieu Gardon et l’Adrien de Benjamin Mayenobe.


Pour la direction musicale, l’Opéra-Théâtre de Metz s’attache les services du très compétent Patrick Davin, qui maîtrise les arcanes de l’écriture contemporaine. Le chef de nationalité belge tire de l’Orchestre national de Metz, anciennement Orchestre national de Lorraine, des sonorités soignées, malgré des cordes un peu trop sèches, les vents séduisant plus constamment par leur netteté. L’exécution se révèle ainsi assez claire, fluide et précise pour rendre justice à ce nouvel opéra ayant peu de chance, restons réaliste, de s’inscrire dans le répertoire, comme les deux précédents de Bartholomée et ceux de bien d’autres compositeurs tout aussi talentueux.



Sébastien Foucart

 

 

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