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Un concert fantastique

Paris
Philharmonie
10/22/2018 -  et 2 septembre (Hamburg), 20 (Amsterdam), 21 (Versailles) octobre 2018
Hector Berlioz : Ouverture «Le Corsaire», opus 21 – La Mort de Cléopâtre – Les Troyens: «Chasse royale et orage», Monologue de Didon «Ah! Ah! Je vais mourir...» et air «Adieu, fière cité» – Symphonie fantastique, opus 14
Lucile Richardot (mezzo-soprano)
Orchestre Révolutionnaire et Romantique, John Eliot Gardiner (direction)


J. E. Gardiner (© Sim Canetty-Clarke)


Dans un entretien qu’il avait accordé au Figaro le 24 octobre 2014, Sir John Eliot Gardiner avouait que, dans les années 1980, lorsqu’il prit la direction de l’Opéra de Lyon, Berlioz faisait encore figure de rareté dans les programmations: «quand j’ai commencé, il y avait en France plus d’allergies à Berlioz qu’au pollen» concluait-il alors! Les choses ont bien changé, grâce à Gardiner notamment, inlassable défenseur de notre Berlioz national. On se souvient de ses mémorables Troyens au Châtelet, de la recréation de la Messe solennelle en 1993 à Londres, d’un génial concert associant la Symphonie fantastique et Lélio et d’un non moins inoubliable Requiem en la basilique de Saint-Denis... Autant dire que le chef anglais est ce soir en terrain connu pour un concert qui, pour ceux qui y auront assisté, restera sans aucun doute un très grand souvenir.


D’emblée, l’Ouverture «Le Corsaire» (1845-1854) emporta le public dans une bourrasque et une orgie sonores. Dans une partition alternant sans grand répit les passages dévolus aux cordes et aux cuivres (en nombre pour l’occasion avec quatre cors, quatre trompettes, trois trombones, deux ophicléides), l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique fut fabuleux. Les violoncelles (conduits par le solo du génial Robin Michael) grattent à qui mieux-mieux, les bois scintillent à chaque instant, les cordes s’envolent, l’ensemble étant conduit par un Gardiner des grands jours. On ne pouvait rêver plus fabuleuse entrée en matière!


Dans ses Mémoires, Hector Berlioz a raconté avec force détails le dialogue qu’il eut avec Boieldieu au lendemain du troisième échec qu’il essuyait pour remporter le Prix de Rome: alors que Berlioz défendait les options qu’il avait prises pour La Mort de Cléopâtre, le vénérable compositeur lui rétorqua «Vous exagérez; nous ne vous demandions pas de lui faire chanter une contredanse. Quelle nécessité ensuite d’aller, dans votre invocation aux Pharaons, employer des harmonies aussi extraordinaires!... Je ne suis pas un harmoniste, moi, et j’avoue qu’à vos accords de l’autre monde, je n’ai absolument rien compris»... Désormais bien ancrée au répertoire, l’interprétation de ce soir aura été bouleversante grâce avant tout à Lucile Richardot. Son timbre de mezzo, qui tend à glisser sur celui d’alto, convient magnifiquement au personnage de la célèbre reine d’Egypte, à laquelle elle confère une dramaturgie extrêmement prenante. Bénéficiant d’une diction irréprochable, Lucile Richardot incarne une héroïne au caractère complexe, dont les pensées sont parfaitement illustrées par une musique envoûtante. Car, comment ne pas être pris par ces pulsations obsédantes des contrebasses («Grands pharaons, nobles Lagides, vous me fuiriez avec horreur») suivi par ce fracas de timbales tenues par l’inamovible et toujours excellent Robert Kendell? Comment ne pas succomber, à l’image de Cléopâtre elle-même, en entendant, après le passage «Dieux du Nil, vous m’avez trahie», cet incroyable jeu de cordes conclu par des raclements de contrebasses là encore qui illustrent le battement d’un cœur qui finit par s’arrêter? Triomphe pour la jeune chanteuse qui, dans un registre différent, nous offrit ensuite une splendide «Mort de Didon», tirée des Troyens. De nouveau, on ne sait qu’admirer le plus entre la présence scénique de Lucile Richardot ou son chant, formidablement impliqué, ce dernier s’éteignant avec le personnage. Avant cela, les accents bucoliques de la célèbre scène de la Chasse royale et de l’Orage (le jeu des quatre tubas, par deux de part et d’autre de la scène, l’attention portée aux échos, le fourmillement de la petite harmonie...) avaient de nouveau permis à l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique de faire montre de tout son professionnalisme, sous la baguette omnisciente de John Eliot Gardiner.


La seconde partie de ce généreux concert était tout entière dévolue à la célébrissime Symphonie fantastique (1830). Sir John Eliot Gardiner connaît cette œuvre sur le bout des doigts et, on le sait, en a laissé une gravure de référence avec ce même orchestre (Philips). La première partie avait-elle été si belle pour que la seconde nous ait ainsi déçu? La variété des timbres de l’orchestre fut pourtant enthousiasmante, qu’il s’agisse de la superbe clarinette de Nicola Boud, du hautbois enjôleur de Michael Niesemann (qui tenait également la redoutable partie de cor anglais dans la «Scène aux champs»), des quatre bassons ronflant comme un seul homme ou de l’ensemble des cuivres, soumis à rude épreuve tout au long de l’œuvre. Pourtant fin connaisseur de ce répertoire, Gardiner nous étonna quelque peu en mettant en avant le trompettiste Neil Brough dans «Le Bal», les traits de la trompette surnageant seulement de temps à autre au milieu de l’orchestre sans qu’il nous ait vraiment paru pertinent de le faire jouer debout à l’écart de ses collègues. De même, pourquoi adopter un tempo si retenu aussi bien dans «Le Bal», qui finit un peu par s’appesantir, que dans la «Marche au supplice» ou dans le «Songe d’une nuit de sabbat»? Dommage que l’allure n’ait pas été plus véloce, ce qui aurait permis d’apprécier davantage cette partition à laquelle le public succomba dès la première note, une grande partie des spectateurs ayant malheureusement applaudi entre chaque mouvement, faisant ainsi perdre au concert une partie la tonalité attendue. Pour autant, que de détails mélodiques nous parvinrent ici aux oreilles! La finesse et la précision de la direction de Sir John Eliot Gardiner furent à leur meilleur, le chef anglais soulevant l’enthousiasme d’une Philharmonie comblée dès les dernières notes du «Songe d’une nuit de sabbat»: quel superbe hommage en cette année Berlioz!


Le site de Sir John Eliot Gardiner et de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique



Sébastien Gauthier

 

 

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