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Avant-première Paris Les Nocturnes de Laude 10/20/2018 - Domenico Scarlatti : Sonate pour piano en ré mineur, K. 1
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 31 en la bémol majeur, opus 110
Frédéric Chopin : Scherzo n° 2 en si bémol mineur, opus 31
Robert Schumann : Variations «Abegg», opus 1
Claude Debussy : Images (Première Série)
Isaac Albéniz : Iberia (Premier Cahier): 1. «Evocation» & 3. «Fête-Dieu à Séville» Julie Alcaraz (piano)
J. Alcaraz
A tout seigneur tout honneur, Julie Alcaraz commence son vaste programme avec la première des 555 Sonates de Scarlatti, dans le classement de Ralph Kirkpatrick. Doigts déliés, élan et sûreté technique, cette page en forme de toccata, redoutable pour attaquer un récital, chante et respire sans prendre l’allure d’un exercice purement digital qu’on lui impose parfois.
Les immenses références pianistiques qui pèsent sur l’Opus 110 de Beethoven ne semblent pas troubler Julie Alcaraz. Rien d’emphatique ni de pontifiant, aucune affectation inutile. La pianiste traverse cette œuvre monumentale avec une fraîcheur infinie, comme si elle venait de la découvrir. Grande noblesse de ton, sens de l’architecture, émotion simple, presque candide, le tout servi par un son constamment rond et plein, si bien timbré et une économie de pédale appréciable. Ici, Julie Alcaraz ne chante pas, elle parle et on la comprend.
Le Deuxième Scherzo de Chopin semble avoir suscité bon nombre de réflexions. Impressionnant début et attention soutenue à l’égard des premiers triolets que Chopin voyait comme une «maison des morts»; thèmes lyriques largement déployés dans l’esprit d’un bel canto italien et non comme dans un «vaudeville français» suivant le désir du compositeur, Julie Alcaraz se perd peut-être parfois dans les passages transitionnels la plupart du temps pour des raisons de tempo ou de rubato. Mais la spontanéité et les élans du cœur l’emportent dans cette interprétation et l’ensemble ravit par sa souplesse, sa narration et son panache.
Les Variations «Abegg» de Schumann, œuvre de jeunesse sacrifiant à la mode des variations brillantes pour piano du premier tiers du XIXe siècle, échappent à leur aspect un peu décoratif et naïf. Julie Alcaraz en fait une grande œuvre capricieuse et émouvante, brillantissime techniquement certes, mais où elle sait trouver tout ce que Schumann enfouit derrière cette apparente superficialité, avec un sens remarquable des voix intérieures où se cache le thème.
Des Debussy comme on les aime, liquides, soyeux, chatoyants ou implacables, comme «Mouvement», annoncent les pièces d’Albéniz. L’Albéniz de Julie Alcaraz est viscéral, quasi organique. «Evocation» nous enveloppe de sa nostalgie rêveuse, de sa douceur d’odeurs d’orangers dans de tièdes soirées d’été. «Fête-Dieu à Séville», turbulente, mais emplie de ferveur si ce n’est de foi, déployée avec tous les moyens techniques requis, confinant aux limites de l’instrument, emporte l’assistance dans une ovation méritée.
Au terme de ce récital que la pianiste donnait en avant-première de son accession aux épreuves du Concours international James Mottram de Manchester, où l’on remarquait la vérité qu’elle imposait stylistiquement aux pages d’un programme si varié, on ne peut que souhaiter la voir réussir au plus haut niveau. Avec son discours très personnel, son sens de la couleur et du timbre, son mélange d’intelligence musicale et d’intuition, son langage singulier, une souplesse et une gestique de déesse grecque, une proximité touchante avec son public et sa technique éprouvée, Julie Alcaraz compte déjà dans le paysage pianistique international.
Le site de Julie Alcaraz
Christian Lorandin
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