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Tristan et Isolde... dans la fosse

Paris
Opéra Bastille
09/11/2018 -  et 16, 19, 22, 27, 30 septembre, 3, 6, 9 octobre 2018
Richard Wagner : Tristan und Isolde
Andreas Schager (Tristan), René Pape (König Marke), Martina Serafin (Isolde), Matthias Goerne (Kurwenal), Ekaterina Gubanova (Brangäne), Neal Cooper (Melot), Nicky Spence (Ein junger Seemann, Ein Hirt), Tomasz Kumięga (Ein Steuermann)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Jose Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Peter Sellars (mise en scène), Bill Viola (vidéo), Martin Pakledinaz (costumes), James F. Ingalls (éclairages)


M. Serafin, A. Schager (© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)


A l’Opéra, la nouvelle saison s’inaugure avec une reprise – mais la création de la Bérénice de Jarrell et la nouvelle production, tant attendue, des Huguenots vont suivre. C’est Tristan et Isolde revu par le tandem Peter Sellars/Bill Viola. Un nocturne épuré, dans un décor vide et noir avec deux carrés de lumière, une direction d’acteurs statique, parfois hiératique, où le moindre geste, du coup, se charge de sens : on pense à Wieland Wagner, que l’Américain ressuscite à travers son art de transcender l’immobilité, notamment dans l’hymne à la nuit, où le couple est à genoux, comme en prière. Vision intimiste, même si la salle s’éclaire pour l’arrivée de Marke, même si Brangaine lance ses appels du balcon, d’où chantent le Pâtre et le Pilote. Vision personnelle aussi : Tristan, visiblement neveu amant de Marke, ne se bat pas avec Melot, mais lui offre son dos, les bras en croix, pour qu’il le frappe. La vidéo, élément fondamental de la scénographie du début à la fin ? Elle séduit toujours lorsqu’elle est symphonie – ou opéra – des éléments, mer ou forêt, où l’air semble vibrer, elle nous semble toujours aussi inutilement répétitive quand elle nous montre un couple subissant un rite d’initiation ou immergé dans une eau originelle. Alors que Bill Viola s’était fait malmener lors de la dernière reprise, Peter Sellars vient cette fois saluer seul... et essuie, fort injustement, les huées de la moitié du public.


Martina Serafin, rien moins que hochdramatisch, est-elle une Isolde ? Elle assume très bien la colère du premier acte, avec des aigus superbes, un médium projeté, un port de princesse. Y donne-t-elle tout ? Le deuxième l’éprouve, les aigus détonnent quand ils sont sous pression. Le troisième appelle plus d’indulgence encore, surtout quand vient une mort d’Isolde naufragée, où la note peut déraper un ton plus haut... Mais si le deuxième acte est problématique, c’est aussi que le couple manque d’équilibre : pour une fois, Tristan a tendance à couvrir Isolde. Andreas Schager a une voix puissante, beaucoup d’énergie, une endurance à toute épreuve – il fonce dès le premier acte, alors que beaucoup se réservent pour le dernier, où il n’accuse pas la moindre fatigue. Mais ne lui demandons pas des nuances subtiles ou de creuser les mots : il paie comptant. Le délire, du coup, est uniforme et peu crédible.


Les mots, Ekaterina Gubanova ne les creuse pas davantage, faisant surtout valoir l’opulence de son mezzo, aux appels trop vibrés – la pierre d’achoppement de ce passage. Matthias Goerne est à l’exact opposé, calamiteux tellement il est engorgé ; il suffisait d’ailleurs d’avoir entendu Le Paradis et la Péri à la Philharmonie pour savoir que c’était une erreur de distribution. Si bien que le meilleur s’appelle René Pape, roi Marke plein de noblesse brisée, phrasant son chagrin comme un lied, se faisant pardonner un grave limité, le seul à ne pas susciter aussitôt des comparaisons peu flatteuses. Magnifiques Marin et Berger également de Nicky Spence.


Philippe Jordan, en général, va crescendo. Pas ici : il dirige d’emblée un magnifique premier acte, qui conjugue la fluidité et l’intensité, avec un sens dramatique qu’on ne lui connaît pas toujours. Le deuxième a des transparences chambristes, il y manque seulement un peu de sensualité. Le troisième, si l’orchestre pourrait délirer davantage, est de la même eau, avec un superbe Prélude et un cor anglais de rêve, une Mort d’Isolde en apesanteur. Mais la qualité de la direction, la splendeur de l’orchestre ne peuvent suppléer aux failles de la distribution et l’on n’éprouve pas, loin de là, le frisson des grands soirs.



Didier van Moere

 

 

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