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Händel chez Mad Max

Le Mans
Sablé-sur-Sarthe (Centre culturel)
08/24/2018 -  et 18, 19 (Quimper), 24, 26, 28, 29, 31 (Nantes) janvier, 4, 6 (Angers), 9, 10 (Besançon), 13 (Saint-Louis), 16, 17 (Compiègne), 20, 21 (Dunkerque) février, 1er (Charleroi), 4 (Mâcon), 13 (La Rochelle) mars, 3 août (Brügge) 2018
Georg Friedrich Händel: Rinaldo, HWV 7b
Paul-Antoine Bénos-Djian (Rinaldo), Lucile Richardot (Goffredo), Emmanuelle de Negri (Almirena), Aurore Bucher (Armida), Thomas Dolié (Argante), Gaëlle Fraysse, Nicolas Cornille (comédiens)
Les musiciens de l’ensemble Le Caravansérail, Bertrand Cuiller (clavecin et direction)
Claire Dancoisne (mise en scène et scénographie), Brice Sailly (assistant à la direction musicale), Marie Liagre (assistante à la mise en scène et à la scénographie), Elisabeth de Sauverzac (costumes), Hervé Gary (lumières), Martha Romero (masques), Mélanie Bruneau (maquillage), Rita de Letteriis (répétitrice d’italien), Marie Bonnier (régie générale), Stéphane Le Bel (régie lumières), Nicolas Marchand (régie plateau et jeu)


(© Sébastien Gauthier)


Cette production trouve, avec le Festival de Sablé, son aboutissement puisqu’elle tourne en France depuis plus de sept mois: créée à Quimper au mois de janvier dernier, elle passa ensuite à Nantes, Angers, Besançon, Saint Louis, Compiègne, Dunkerque, Mâcon, La Rochelle et Bruges pour finalement atterrir en Sarthe en cette fin du mois d’août. Rinaldo est un opéra important dans la carrière de Georg Friedrich Händel (1685-1759) puisque, créé au Queen’s Theatre du Haymarket le 24 février 1711, il est le premier que Händel compose en Angleterre. Empruntant plusieurs pages issues de ses compositions antérieures (notamment Il trionfo del Tempo e del Disinganno et de sa cantate Aci, Galatea e Polifemo), Händel renouvelle totalement le genre de l’opéra grâce à une orchestration extrêmement riche, propre à servir une intrigue assez iconoclaste, en partie issue de la Jérusalem délivrée du Tasse. Comme le souligna avec talent Ivan A. Alexandre dans une remarquable (mais bien trop brève!) conférence d’une bonne heure pourtant consacrée le matin même à Rinaldo (conférence qui, devant plus d’une centaine de personnes, affichait largement complet), Händel contribuait ainsi à créer un opéra typiquement anglais dans un pays qui, hormis le cas de Didon et Enée quelques années plus tôt, était plutôt réfractaire au genre. La présente production n’est pas celle que l’on a souvent l’habitude d’entendre au disque puisque le personnage d’Eustazio n’est pas présent (il faut dire que Händel l’élimina dès 1713) et que certaines coupes correspondent aux divers remaniements faits par le compositeur jusqu’à la totale refonte de l’ouvrage en 1731.


Mise en scène moderne mais mise en scène magique: le talent de Claire Dancoisne est évident! Les costumes, affichant un camaïeu de gris et de quelques dorures, trouvaient également de superbes reflets dans la coiffe de style aztèque et les jambières rouges d’Armide, Almirena portant une robe dont la blancheur ressortait d’autant plus. On se croirait dans le film Mad Max tant les cuirasses recouvrent une ligne moderne et les maquillages des couleurs parfois cadavériques. Pour le reste, on se serait presque cru en présence de la troupe nantaise «Royal de Luxe» avec ces monstres et constructions tout en métal à l’effet saisissant: un cheval enfourché par Rinaldo, un grand poisson, un non moins imposant dragon... Les chanteurs s’approprient parfaitement ces accessoires, aidés en cela par deux comédiens, Gaëlle Fraysse et Nicolas Cornille, omniprésents et doués d’une imagination sans borne tant dans les attitudes que dans la gestique. La mise en scène recèle par ailleurs une multitude de détails qui, avec peu de moyens, ajoutent au merveilleux de l’intrigue: le soldat entouré de cordelettes rouges pour illustrer les ravages du combat sanglant opposant les troupes de Goffredo d’un côté, d’Argante et Almirena de l’autre, les préparatifs du combat mimés au travers de marionnettes en métal activées par les comédiens ou les chanteurs, la scène des sirènes attirant Rinaldo au début de l’acte II... Atout mais également faiblesse relative de cette mise en scène qui, débordant d’idées (trop peut-être?), ne nous a pas toujours semblé aboutie. Pour ne prendre qu’un seul exemple, que signifie cette disparition petit à petit de l’ombre de Rinaldo dans l’air «Cara sposa, amante cara» avant sa réapparition tout aussi progressive: s’agissait-il d’illustrer la douleur de l’amant et la fermeté soudaine de son caractère («io vi sfido, o spirti rei», «je vous défie, ô méchants esprits»)? Vraisemblablement, mais le chant aurait sans nul doute suffi à lui-même sans utiliser ce type d’artifice...


Dans un tel décor, les chanteurs trouvent un cadre assez incroyable pour évoluer même si le jeu de scène s’avère limité. Les voix féminines furent peut-être les moins convaincantes. Pourtant rompue à ce répertoire, Emmanuelle de Negri incarne une Almirena assez falote et, même si son célébrissime (et attendu par tous) «Lascia ch’io pianga mia cruda sorte» (acte II, scène 4) fut excellent, ses interventions n’ont pas fait partie des plus marquantes de la soirée. Signalons néanmoins la scène loufoque (où d’aucuns pourront y voir un contresens) du très beau duo avec Rinaldo «Scherzano sul tuo volto» (acte I, scène 6) à la lumière d’une boule à facettes en mode karaoké! Des aigus un peu durs et, parfois, à la limite d’être criés: ce sera le seul reproche que l’on pourra adresser à Aurore Bucher qui fut plutôt convaincante dans le rôle de la cruelle Armida. Sachant parfaitement retranscrire la diversité de ses émotions (transie d’amour pour Rinaldo, elle ne l’en menace pas moins des pires tourments à la scène 6 de l’acte II).


Rinaldo justement: pour une prise de rôle, Paul-Antoine Bénos-Djian s’en sort plutôt bien! Doté d’une belle présence scénique, il campe un Rinaldo assez crédible, passant avec aisance du fameux «Cara sposa, amante cara, dove sei?» au très véhément «Cor ingrato, ti rammembri» (acte II, scènes 7 et 8). Néanmoins, avouons avoir été quelque peu déçu par le caractère ainsi peint. Là aussi, à l’image de son Almirena adorée, son maquillage de clown triste accentuant en plus d’une occasion sa fragilité émotionnelle, Bénos-Djian ne retranscrit jamais le caractère héroïque de son personnage, celui-ci apparaissant presque comme un acteur secondaire alors que, tant dans le chant que dans ses attitudes, il devrait être au centre de l’action. Dans le rôle de Goffredo (Godefroy de Bouillon), Lucile Richardot fut excellente: dotée d’une autorité naturelle dans son chant et dans son port altier, elle livra plusieurs airs d’une grande beauté dont le magnifique «Moi cor, che mi sai dir?» (acte II, scène 3). Mais le personnage vocalement le plus marquant de la soirée fut sans aucun doute Thomas Dolié, dont on avait déjà pu souligner, l’année dernière, la prestation dans la représentation des Indes galantes. Excellent dans le répertoire baroque (voir par exemple ici) mais également solide dans les œuvres romantiques (souvenons-nous de sa participation à l’Elias de Mendelssohn dirigé par Kurt Masur), Thomas Dolié est Argante. Son timbre chaud et sa projection facile lui permettent de briller à chacun de ses airs tout en livrant un jeu de scène irréprochable: un talent qui ne fait que se confirmer d’année en année.


Rinaldo est pour l’orchestre prétexte à mille couleurs, requérant pour ce faire cordes, basse continue, basson, hautbois, trompettes et timbales. Les musiciens de l’ensemble Le Caravansérail, dirigés du clavecin par Bertrand Cuiller (épaulé par un second clavecin tenu par Violaine Cochard), fut excellent d’un bout à l’autre. Bénéficiant d’individualités de premier plan (le violoniste Stéphan Dudermel, le bassoniste Nicolas André et bien sûr Bertrand Cuiller au clavecin, à la technique époustouflante notamment dans l’air d’Armida «Vo’ far guerra, e vincer voglio» à la fin de l’acte II) et d’une cohésion sans faille, la phalange d’à peine vingt musiciens illustra à elle seule toute la richesse de l’orchestration haendélienne. Décidément, Il caro Sassone était à la fête ce soir!


Le site de l’ensemble Le Caravansérail



Sébastien Gauthier

 

 

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