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Organistes à bâbord... et à tribord! Cahors Rocamadour (Basilique Saint-Sauveur) 08/17/2018 - Johann Sebastian Bach : Cantate «Wir danken dir, Gott», BWV 29: Sinfonia [#] – Suite pour orchestre n° 3, BWV 1068: 2. Aria [*] – Cantate «Gott soll allein mein Herze haben», BWV 169: 5. Aria «Stirb in mir» [#] – Cantate «Christ lag in Todesbanden», BWV 4: 4. Aria «Jesus Christus, Gottes Sohn» [#] – Sonate pour violon seul n° 1, BWV 1001: 1. Preludio [*] – Prélude et Fugue, BWV 539: Fugue [*] – Cantate «Also hat Gott die Welt geliebt», BWV 68: 2. Aria «Mein gläubiges Herze» [#] – Cantate «Was mir behagt, ist nur die muntre Jagd», BWV 208: 9. Aria «Schafe können sicher weiden» [*] – Cantate «Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit», BWV 106: 1. Sonatina [#] – Concerto pour deux claviers n° 1, BWV 1060: 3. Allegro [#] – Messe, BWV 233: «Quoniam tu solus sanctus» [#] – Wachet auf, ruft uns die Stimme, BWV 645 [* #] – Cantate «Weichet nur, betrübte Schatten», BWV 202: 5. Aria «Wenn die Frühlingslüfte streichen» – Concerto pour quatre claviers, BWV 1065 [*] (arrangements André Isoir) Michel Bouvard (*), François Espinasse (#) (orgue)
Le Festival de musique sacrée de Rocamadour, du 5 au 26 août, repose évidemment avant tout sur un site exceptionnel, à titre principal la basilique Saint-Sauveur (XIIIe/XIXe), mais s’attache aussi à faire découvrir en musique le riche patrimoine des environs (Autoire, Carennac, Loubressac). La programmation se fonde sur trois ensembles en résidence – Mikrokosmos, Exosphère et La Sportelle – et, pour cette treizième édition parrainée par Jean-Loup Chrétien, sur des «étoiles» – Nicholas Angelich, Reinoud van Mechelen et ses musiciens d’A nocte temporis, Les Musiciens du Louvre, Vox luminis et l’ensemble Gilles Binchois. Si l’on peut entendre, de façon un peu inattendue Rossini – sa Petite Messe solennelle, quand même – ou du piano romantique, les trois concerts de la «semaine Bach», au cœur du festival, n’ont en revanche pas de quoi surprendre, de même que l’organisation d’un stage choral «Cantica sacra», centré cette année sur le thème de la paix et alternant la pratique du chant grégorien avec Poulenc, Holst, Barber, Elgar...
(© Louis Nespoulous)
Le directeur artistique, Emmeran Rollin, est par ailleurs le titulaire des orgues de la basilique, un superbe instrument du facteur Jean Daldosso (2013) qu’il s’attache à mettre en valeur notamment au travers de trois séances intitulées «Entendre l’orgue de Rocamadour». Construit à l’emplacement de l’ancien jubé, il évoque la proue d’un navire – Notre-Dame de Rocamadour est traditionnellement invoquée par les marins – et comprend vingt et un jeux pouvant être indifféremment actionnés par chacun des deux claviers et par le pédalier.
Rollin fut l’un des élèves de Michel Bouvard (né en 1958), et celui-ci fut lui-même, comme François Espinasse (né en 1961), élève d’André Isoir (1935-2016). Belle idée que de donner corps à cette histoire de transmission pour le dernier concert de la «semaine Bach», avec ce récital de deux des plus grands organistes français, qui partagent par ailleurs, avec Frédéric Desenclos et Jean-Baptiste Robin, l’orgue de la Chapelle royale du château de Versailles. Dans un bref propos liminaire, ils évoquent tous deux leur maître avec affection et Espinasse ajoute quelques mots pour saluer la mémoire de Marie-Françoise Bucquet, épouse du baryton Jorge Chaminé, disparue le 15 août à l’âge de 80 ans: disciple de Kempff et Fleisher, elle s’était imposée dans le répertoire contemporain et dans l’enseignement, comptant notamment parmi ses élèves Nicholas Angelich, Hervé Billaut, Kotaro Fukuma et Shani Diluka.
M. Bouvard, F. Espinasse (© Louis Nespoulous)
Bouvard et Espinasse ont rendu hommage à André Isoir en enregistrant voici trois ans pour La Dolce Volta des transcriptions pour orgue qu’il avait réalisées de diverses œuvres de Bach. Leur récital reprend l’intégralité du programme de leur album, sur un instrument parfaitement adapté à ce répertoire. Isoir, auteur d’une intégrale discographique de référence, jugeait-il que Bach n’avait pas encore assez écrit pour l’orgue? Toujours est-il qu’il a transcrit des pages d’origines très diverses: airs ou mouvements instrumentaux extraits de cantates (sacrées ou profanes), l’Aria de la Troisième Suite pour orchestre, des concertos, le Prélude de la Première Sonate pour violon seul (qui renvoie à la Fugue de cette même sonate, transcrite elle-même pour orgue par Bach) et même une pièce pour orgue – l’ajout d’un continuo au premier des Chorals Schübler, «Wachet auf, ruft uns die Stimme».
Cette variété de genres conjure le risque de monotonie pour ces 70 minutes de musique, même si un point commun demeure: le travail d’Isoir métamorphose tout le matériau de base en un idiome clairement organistique, notamment par le recours à l’écriture en trio et au besoin par l’ajout de voix «manquantes», résultat d’autant plus remarquable que les versions originales sont le plus souvent fort connues. La démarche renvoie bien sûr à l’intense activité de Bach lui-même comme transcripteur de ses propres œuvres ou de celles des autres: on retrouve par exemple le Concerto pour quatre claviers, originellement un Concerto pour quatre violons de Vivaldi, dans une éblouissante réalisation.
Alternant à la tribune amadourienne, les deux organistes remportent un chaleureux succès auprès d’un public un peu trop chiche mais très motivé. Ils offrent en bis un arrangement à quatre mains du Crucifixus de la Messe en si mineur réalisé par... Michel Bouvard, lequel, lors des ultimes rappels, fait observer que c’est la seule église où, pour être vu du public, il doit successivement saluer «à bâbord et à tribord».
Le site du Festival de Rocamadour
Simon Corley
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