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Grands classiques contemporains

Paris
Le Centquatre
06/30/2018 -  
Helmut Lachenmann : Zwei Gefühle, Musik mit Leonardo
Beat Furrer : Nuun
Michael Jarrell : Droben schmettert ein greller Stein
Edgard Varèse : Intégrales
Helmut Lachenmann (récitant)

Ensemble ULYSSES, Ensemble intercontemporain, Beat Furrer (direction), Gilbert Nouno (réalisation informatique musicale Ircam)


B. Furrer (© David Furrer)


Pour ce concert de clôture du festival qui s’inscrit dans le cadre de la master class d’interprétation de l’Ensemble intercontemporain (EIC), place à quelques grands classiques du XXe siècle.

La performance des musiciens de l’Ensemble ULYSSES dans Intégrales (1925) montre que la greffe, après celle effectuée sur le Philharmonique de Radio France samedi dernier, a de nouveau pris: encadrés par quelques grandes figures de l’EIC et galvanisés par la direction infaillible de Beat Furrer, ils assurent une exécution au cordeau de cette partition régie par le principe de transmutation du matériau entre vents et percussions, où le moindre décalage rythmique peut être fatal. L’intonation, cantonnée dans les nuances extrêmes du spectre sonore, ne l’est pas moins: épinglons le solo de hautbois et les percées incisives de la clarinette en mi bémol, de la trompette en et du cor en fa.

Droben schmettert ein greller Stein [Une pierre éblouissante retentit là-haut], non sans faire apparaître en filigrane la figure tutélaire de Pierre Boulez à travers un goût prononcé pour la prolifération (mot chéri du lexique boulézien), reprend certaines constantes stylistiques du compositeur. Michael Jarrell (né en 1958) n’assigne pas de limite à son territoire, lequel prend forme au fur et à mesure du processus compositionnel. On distingue cependant une courbe dramaturgique qui va de la tension à l’apaisement, la notation faisant prévaloir une écriture instrumentale de plus en plus aérée où planent les arabesques (répercutées par la partie électronique) dessinées avec une grâce étonnante par Nicolas Crosse, le contrebassiste virtuose de l’EIC.


Maître de cérémonie de ce concert, Beat Furrer (né en 1954) dirige l’une de ses œuvres les plus emblématiques, datée de 1996 : Nuun – à ne pas confondre avec Nun (1999) de Lachenmann. En écho aux Profezie de Léonard de Vinci, la manière de Furrer témoigne d’une fascination pour les processus de transformation s’opérant majoritairement dans la continuité. Aussi le compositeur modifie-t-il un paramètre à la fois de manière à préserver une sorte de continuum sonore, ce qui n’empêche pas certains passages de jouer sur les contrastes. Une indéniable séduction se dégage à l’écoute de cette pièce pour deux pianos et orchestre où, après un flux intarissable faisant cohabiter différentes profils rythmiques, des silences finissent par gangréner le tissu musical en alternance avec des sonorités étouffées et un échantillon d’objets trouvés issus de la tradition (tierces, octaves, monceaux de gammes).


«Sonorités étouffées», «objets trouvés issus de la tradition», «Léonard de Vinci»: on ne saurait trouver meilleure transition avec Zwei Gefühle, Musik mit Leonardo, fondé sur un texte du peintre de La Joconde traduit en allemand. La musique de Helmut Lachenmann «veut mettre à nu les modes de production (un peu comme une poésie sonore dont le principe de structuration serait une succession ordonnée de dentales, de fricatives, de sifflantes etc.)», écrit pertinemment Martin Kaltenecker dans sa biographie de référence du compositeur (Van Dieren Editeur). Il n’est que d’écouter le maître lui-même en récitant pour prendre la mesure de cette décomposition des phonèmes à laquelle fait écho une texture instrumentale d’un extrême raffinement. Le geste tout en retenue de Beat Furrer donne le sentiment de dilater le temps, notamment dans les dernières mesures, qui dégagent une émotion intense. Un silence recueilli puis une ovation bien méritée saluent ce chef-d’œuvre écrit en 1992. Pour paraphraser le titre prophétique que Pierre Boulez donna à l’un des chapitres des Relevés d’apprenti consacré à Igor Stravinsky: «Lachenmann demeure».



Jérémie Bigorie

 

 

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