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Un tsar et un chef

Paris
Opéra Bastille
06/07/2018 -  et 10, 13, 16, 19, 22, 26, 29 juin, 2, 6, 9, 12 juillet 2018
Modeste Moussorgski : Boris Godounov
Ildar Abdrazakov*/Alexander Tsymbalyuk (Boris Godounov), Evdokia Malevskaya (Fiodor), Ruzan Mantashyan (Xenia), Alexandra Durseneva (La nourrice), Maxim Paster (Le prince Chouiski), Boris Pinkhasovich (Andrei Chtchelkalov), Ain Anger (Pimène), Dmitry Golovnin (Grigori Otrepiev), Evgeny Nikitin (Varlaam), Peter Bronder (Missail), Elena Manistina (L’aubergiste), Vasily Eimov (L’Innocent), Mikhail Timoshenko (Mitioukha), Maxim Mikhailov (Un officier de police)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Chœurs de l’Opéra national de Paris, Vladimir Jurowski*/Damian Iorio (direction musicale)
Ivo van Hove (mise en scène), Jan Versweyveld (décors et lumières), An D’Huys (costumes), Tal Yarden (vidéo), Jan Vandenhouwe (dramaturgie)


(© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


Boris première mouture, celle de 1869. C’est par économie, disent les mauvaises langues. C’était version préférée de Moussorgski, affirme Ivo van Hove, Vladimir Jurowski rêvant, lui, de la combiner avec celle de 1872. Ce retour aux sources a ses défenseurs, qui invoquent la modernité prophétique d’un opéra renonçant à toute intrigue amoureuse – ce qu’ajoutera l’acte polonais où Marina, créature du jésuite Rangoni, prend le faux Dimitri dans ses filets. De même, pas de tableau de la forêt de Kromy à la fin, avec la révolte populaire, l’entrée triomphale de l’imposteur et les plaintes de l’Innocent : tout se termine sur la mort du tsar. Pour ne rien dire de la Chanson de l’Hôtesse au premier acte... Va donc pour 1869, plus resserré, sans concession à l’opéra français ou italien de l’époque.


Ses Damnés d’Avignon ont fait date. Son Macbeth de Verdi, à Lyon, avait moins convaincu. Ivo van Hove signe aujourd’hui un Boris trop distancié, dans un décor unique et pauvre: scène grise, grand escalier, quelques chaises – symbole d’ascension et de chute, l’escalier vient du rêve de l’Imposteur, Mais la vidéo redouble le tsar ou le chœur en gros plans, suggère aussi des paysages – de destruction pour le tableau de l’auberge, de champ de blé ou de lacs et de montagnes ensuite. Tout cela est très bien réglé, mais d’un classicisme froid. Manque la vision, alors que le Flamand invoque Shakespeare – il rappelle qu’il a mis en scène toutes les tragédies excepté Le Roi Lear : les apparitions du tsarévitch assassiné nous laissent de marbre, la truculence du tableau de l’auberge disparaît totalement. Manque le souffle. Manque l’émotion.


Ivo van Hove, en réalité, ne va pas jusqu’au bout de son propos – il évoque le monde d’aujourd’hui, dont on devine les démocratures, mais en reste à une universalité trop neutre, comme s’il ne trouvait pas l’équilibre entre les deux. Pour les scènes d’ensemble, la production laisse l’impression d’une suite de tableaux vivants plus que d’un véritable drame – certes la version de 1869 est divisée en tableaux... comme le drame de Pouchkine est divisé en scènes. On aime en tout cas l’idée de la fin : le faux Dimitri tue le fils de Boris comme Boris a tué le fils d’Ivan – éternel recommencement des règnes fondés sur le meurtre de l’héritier légitime. L’Opéra de Paris, décidément, n’a pas toujours la main heureuse avec ses nouvelles productions.


Une direction d’acteurs plus tendue aurait peut-être sauvé le spectacle de l’ennui. La distribution, heureusement, se signale par son homogénéité et sa pertinence, même si certains rôles pourraient être davantage creusés. Ainsi, le Pimène d’Ain Anger, vocalement magnifique, n’a pas tout à fait la profondeur irradiante du moine, ni le Chouïski de Maxim Paster, non moins impeccable, la perversité fallacieuse du boyard. Evgeny Nikitin aurait la trogne de Varlaam, Elena Manistina la dégaine de l’Hôtesse, mais pâtissent d’une mise en scène qui les abandonne. Vêtu d’un simple slip, presque figure christique, Vasily Efimov campe un bon Innocent, qu’on souhaiterait seulement plus illuminé, antithèse du faux Dimitri ambitieux et sonore de Dmitry Golovnin.


Le tsar d’Ildar Abdrazakov, presque barytonnant, les domine tous, Boris douloureusement introverti, humain trop humain, à mille lieux de l’expressionnisme d’une certaine tradition, au timbre chaudement velouté, qui sertit ses tourments dans un phrasé de belcantiste. La fosse, de son côté, nous offre ce que la scène nous refuse, alors pourtant que Vladimir Jurowski ne privilégie pas l’urgence théâtrale. Mais il installe une atmosphère sombre et parfois oppressante, fait ressortir les aspérités de cette version de 1869, l’âpreté parfois ascétique de ses couleurs, transformant la sonorité de l’orchestre, qui sonne comme un orchestre russe – remarquable d’ailleurs, comme le chœur. L’intérêt de la production tient au tsar et au chef.



Didier van Moere

 

 

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