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Les Philharmoniker au tournant

Baden-Baden
Festspielhaus
03/31/2018 -  et 20, 21, 22 décembre 2017 (Berlin)
Béla Bartók : Chants paysans hongrois pour orchestre, Sz. 100 – Concerto pour violon et orchestre No. 1, Sz. 36
Felix Mendelssohn : Ein Sommernachtstraum, op. 21 et 61 (extraits, suite arrangée par Iván Fischer)

Mari Eriksmoen (soprano), Ingeborg Gillebo (mezzo-soprano), Vilde Frang (violon)
Philharmonia Chor Wien, Walter Zeh (chef de chœur), Berliner Philharmoniker, Iván Fischer (direction)


(© Monika Rittershaus)


Invité à diriger l’un des concerts de l’Orchestre philharmonique de Berlin à Baden-Baden, Iván Fischer saisit l’occasion de nous faire admirer ces musiciens dans des répertoires dont il n’ont pas forcément une grande habitude. C’est le cas en particulier en première partie, avec deux œuvres de Bartók assez rarement jouées.


Les Chants paysans hongrois ont été orchestrés par le compositeur à partir d’un cycle de pièces pianistiques antérieures, dont ont été retenues surtout la sixième (intitulée Ballade) et toutes les pièces plus brèves qui suivent dans le cycle. On aboutit ainsi à une suite d’une douzaine de minutes environ, assez colorée, où tout le savoir faire de Bartók en matière de folklore hongrois sublimé fonctionne à plein régime. L’atmosphère orchestrale n’est pas très éloignée de celle de la plus célèbre Suite de danses de 1923, mais avec un ancrage dans le terroir populaire qui paraît plus ferme, moins abstrait. Dommage qu’ici les titulaires de la petite harmonie s’écoutent beaucoup jouer : un festival d’intonations recherchées et de phrasés légèrement traînants, au risque de décaler parfois audiblement par rapport à des cordes qui n’en font pas autant. Ces flottements induisent une certaine fantaisie mais distendent parfois le discours à l’excès, et la battue pourtant précise d’Iván Fischer ne peut rien y changer dans l’instant. Il faut se rabattre sur la plénitude sonore des tutti, toujours impressionnante (l’unisson de toutes les cordes, au début, contrebasses exceptées, est vraiment saisissant de puissance). Là encore un peu plus de répétitions qu’un simple raccord, pour ce programme certes joué antérieurement à Berlin, mais il y a trois mois déjà, n’auraient pas été un luxe.


Concerto assez bref ensuite, brillamment défendu par la jeune violoniste norvégienne Vilde Frang, 31 ans, présence toute simple de jeune fille sage, dans une jolie robe de concert fluide et discrète. Une sonorité assez discrète aussi mais nullement confidentielle, qui en tout cas privilégie une constante luminosité au détriment d’une projection plus brutale (mais qui toutefois dans l’absolu conviendrait sans doute mieux à une salle aussi grande). Dans le Concerto pour violon Sz. 36, devenu aujourd’hui le Premier Concerto pour violon de Bartók depuis la redécouverte tardive de la partition, cette modestie sait convaincre, en particulier dans l’Andante sostenuto initial, d’un charme post-romantique très prenant, dont Vilde Frang préfère ne pas trop souligner les aspects vénéneux et un peu lunaires, au profit d’une approche assez droite. Ensuite le fantasque Allegro giocoso tourne un peu à vide, avec une tendance au pur jeu de sons et de coups d’archet virtuoses, mais il est vrai que cette partie de l’œuvre, plus décousue, est aussi la plus difficile à incarner.


Après l’entracte, place à de larges extraits du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn pour lequel le nombre de chaises disposées sur le plateau paraît de prime abord disproportionné. Autant de monde pour cette musique élégante voire diaphane, n’est ce pas excessif ? Certes les dames du Philharmonia Chor Wien, qu’Iván Fischer, suivant en cela une recette déjà expérimentée brillamment ici-même dans le Requiem de Mozart, disperse une à une entre les pupitres de cordes et non derrière l’orchestre, viennent grossir l’effectif. Mais quand même il y a vraiment beaucoup de monde et l’Orchestre philharmonique de Berlin surcharge cette musique d’un poids excessif, et de loin pas que visuellement. L’Ouverture paraît disproportionnée, avec des tutti tonitruants, en alternance avec des toiles d’araignées de cordes certes subtiles mais pas tout à fait bien synchronisées (le second essai, un peu plus tard, est déjà nettement plus concluant). Le Scherzo aussi pèche par un excès d’embonpoint. Ensuite la situation s’améliore nettement avec un Notturno lunaire à souhait, magnifiquement chanté par des cors de rêve, et un Marche nuptiale grandiose, à l’issue de laquelle Iván Fischer coupe court à toute tentative d’applaudissement enthousiaste par un geste impérieux. Excellente initiative, car ici l’ordonnancement des morceaux choisis est subtil, le chef hongrois ayant procédé à une sélection et à un enchaînement des pièces très prémédités. Deux pièces chorales seulement, mais délicieuses, viennent rehausser le tout, avec l’appoint de deux solistes féminines de toute façon déjà présentes à Baden-Baden puisque participant au Parsifal donné en parallèle. Des voix pas très grandes, mais dont le charme est bien en situation.


Concert somme toute réussi, mais avec quelques zones d’ombre et des points qui restent discutables, finalement à l’image de l’ensemble de ce cru 2017. L’Orchestre philharmonique de Berlin va continuer s’installer à Baden-Baden chaque printemps au moment des fêtes de Pâques (un contrat solide vient d’être signé avec le Festspielhaus pour une nouvelle période, jusqu’en 2022), mais désormais sans Simon Rattle. Une longue et riche page des Berliner Philharmoniker est en train de se tourner, mais les prochaines saisons de l’orchestre seront-elles effectivement l’occasion de certaines remises en question, au cours d’une période qui n’est pas loin de ressembler à une petite crise systémique ? En fin de mandat, Simon Rattle lui-même ne se privait pas parfois d’appuyer où ça fait mal, notamment au cours d’une interview accordé à la revue Diapason en 2016 : "Le rythme, chez les Berliner Philharmoniker, n’est pas calculé, mais intimement ressenti. C’est l’émanation d’une façon de se mouvoir ensemble. Ils ont pris l’habitude d’attendre toujours un peu, et un peu plus, et ainsi de suite. Démonstration amusante il y a quelques années, lorsqu’une commémoration officielle a réuni pour moitié des membres des Berliner, et pour l’autre, du London Symphony Orchestra. Ce qui devait arriver arriva dès le premier pizzicato : le LSO le pose exactement sur le temps... et quand il a fini de résonner, les Berliner n’ont toujours pas attaqué !"


Le colosse berlinois, d’aussi avantageuse carrure soit-il, prend-il effectivement aujourd’hui trop de temps à s’écouter et à s’auto-enivrer de sa propre splendeur sonore? Un travail de fond s’impose vraisemblablement, mais gageons qu’à l’avenir avec Kirill Petrenko les Philharmoniker ont fait le bon choix pour se remettre davantage en question.



Laurent Barthel

 

 

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