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Kirill Petrenko : une baguette magistrale Berlin Philharmonie 04/12/2018 - et 13, 14* avril (Berlin), 27 (Salzburg), 30 (Luzern) août, 1er septembre (London) 2018 Paul Dukas : La Péri
Serge Prokofiev : Concerto pour piano n° 3 en ut majeur, opus 26
Franz Schmidt : Symphonie n° 4 en ut majeur Yuja Wang (piano)
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)
K. Petrenko (© Wilfried Hösl)
Philharmonie de Berlin comble ce soir pour le troisième concert de l’unique programme que Kirill Petrenko, pourtant futur directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Berlin à compter de la saison 2019-2020, donne cette année à la tête de la prestigieuse phalange. Le fait qu’il fuit toute médiatisation et cultive une réserve naturelle est bien connu: pour autant, avouons que c’est assez rare à ce niveau et que cela justifiait amplement qu’on vienne écouter une des baguettes les plus louées aujourd’hui dans le monde de la musique classique.
Et le fait est que cette réputation était, ce soir, non seulement loin d’être usurpée mais même en deçà de ce qu’on attendait... La conclusion de la soirée était évidente: le fait que les Berliner Philharmoniker aient choisi Petrenko ne tient pas du fait du hasard, sa conduite de la Quatrième Symphonie (1932-1933) de Franz Schmidt (1874-1939) ayant été tout bonnement exceptionnelle, servie en outre par un orchestre galvanisé de la première à la dernière note. Dès l’entrée de la trompette de Gábor Tarkövi, le climat se veut recueilli et sombre, les cordes prenant la suite avec une tension palpable par tous. Le premier mouvement, avec ses accents à la fois burlesques et dramatiques, témoigna de l’engagement de chaque musicien, Petrenko maintenant la «pression» sur ses troupes à chaque instant grâce à une gestique à la fois très directive et agile. C’est sans doute le très lyrique Adagio qui fit la plus forte impression grâce à des solistes de rêve (en premier lieu Ludwig Quandt au violoncelle, Emmanuel Pahud à la flûte et Dominik Wollenweber au cor anglais), le thème central étant repris par des cordes, doublées par le basson, avec une ampleur formidable, Petrenko conduisant pour sa part ces longs passages apaisés avec une maîtrise idéale de la ligne mélodique. Burlesque, le Molto vivace le fut ô combien, mettant à contribution des bois d’une agilité sans faille, le pupitre de cors (emmené ce soir par David Cooper) et l’ensemble des percussions ajoutant à la jovialité d’un mouvement dont l’issue (le retour du thème initial) annonçait le quatrième mouvement, sa noirceur fondant de nouveau sur l’ensemble d’une Philharmonie qui fit un triomphe à l’orchestre et à son chef.
Il faut dire que l’entrée en matière avait été d’emblée impressionnante. Jamais donnée par le Philharmonique de Berlin depuis février 1961 (précisons d’ailleurs qu’il n’avait pas joué la Quatrième Symphonie de Schmidt depuis janvier 1960 sous la direction du très méconnu Kurt Wöss), La Péri (1911) permit immédiatement à l’orchestre de démontrer toute l’étendue de ses talents. Des fulgurances confiées aux cuivres (excellents pupitres de cors et de trombones) à la suavité des cordes, les musiciens oscillèrent entre sonorités debussystes et thématiques wagnériennes avec une finesse des grands soirs. La baguette de Kirill Petrenko témoigna pour sa part de sa maîtrise absolue de la partition et surtout du sens des équilibres: souvent impérieuse, elle sut également «inviter» tel ou tel soliste ou pupitre à participer à ce foisonnement, reprenant avec autorité le léger espace de liberté laissé un instant à des musiciens qui prenaient un évident plaisir à jouer cette partition malheureusement trop méconnue.
Entre Dukas et Schmidt, Prokofiev, avec son célèbre Troisième Concerto pour piano (1917-1921) joué ce soir par Yuja Wang. Comme à son habitude, la jeune pianiste chinoise arrive sur scène à pas menus, handicapée par ses chaussures à hauts talons et à célèbres semelles rouges, tenant maladroitement les pans d’une robe de soirée dont on se demande à chacune de ses apparitions comment elle ne la handicape pas pour jouer... Bref, courbette rapide à 90° et c’est parti! Même si Yuja Wang n’est pas forcément notre tasse de thé, avouons qu’il est difficile de ne pas reconnaître son autorité et sa technique: époustouflantes! L’Allegro du premier mouvement tient de la démonstration: les doigts s’envolent, les coups de tête accompagnent les accents de l’orchestre, les mains se croisent mais, grâce tout de même à une conduite très attentive de la part de Petrenko qui regarde en plus d’une occasion la soliste pour éviter tout décalage intempestif, le résultat est irréprochable (la montée avant la reprise du thème introductif, hallucinante...), le dernier accent du mouvement déclenchant les applaudissements d’une bonne partie du public. Alors qu’on aurait pu s’attendre à un peu plus de poésie dans le deuxième mouvement, Yuja Wang n’en a malheureusement cure et préfère laisser libre cours à la seule technique, sa main droite étant souvent très dure (les aigus étant plus assénés que joués), les moments de poésie étant en grande partie gommés. Feu d’artifice néanmoins avec l’Allegro ma non troppo – Allegro conclusif, qui permit de nouveau à la soliste d’en «mettre plein la vue» mais, en fin de compte et au milieu des applaudissements frénétiques de la salle, on se demandait bien où était parfois passée la musique.
Le site de Yuja Wang
Sébastien Gauthier
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