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Happy birthday Mr. Bronfman ! Paris Théâtre des Champs-Elysées 04/10/2018 - et 6 (Budapest), 7, 8, 9 (Wien) avril 2018 Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano et orchestre n° 3 en ut mineur, opus 37
Béla Bartók : Concerto pour piano et orchestre n° 2, Sz 95
Igor Stravinsky : Petrouchka (version de 1947) Yefim Bronfman (piano)
Wiener Philharmoniker, Andrés Orozco-Estrada (direction)
A. Orozco-Estrada (© Werner Kmetitsch)
Le jeune chef Andrés Orozco-Estrada (il a fêté ses quarante ans en décembre dernier) a débuté à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne en octobre 2010 ; depuis cette première série de représentations données dans le cadre des concerts d’abonnements, il a fréquemment été invité par la prestigieuse phalange qui, outre Gustavo Dudamel et Rafael Payare, fait désormais fréquemment appel à cette génération de jeunes et talentueux chefs sud-américains. Mais la vedette du soir était bel et bien le pianiste Yefim Bronfman qui, ce jour même, fêtait son soixantième anniversaire.
Collaborant avec le Philharmonique de Vienne sous les plus grandes baguettes depuis ses débuts en juillet 1998 au Festival de Salzbourg, Yefim Bronfman occupait à lui seul toute la première partie du concert avec deux concertos, enchaînés l’espace d’une brève pause permettant simplement de modifier à la marge la physionomie de l’orchestre. Le Troisième de Beethoven fait partie de ses œuvres de prédilection puisque, avant de le jouer prochainement à Berlin sous la baguette de Tugan Sokhiev, à Pittsburgh sous celle de Manfred Honeck et à Londres sous celle de Gianandrea Noseda, il l’a donné à de multiples reprises depuis le mois de janvier, sans compter ses précédentes prestations par exemple sous la direction de Christian Thielemann ou d’Alan Gilbert. Arrivant d’un pas mesuré, d’une démarche un peu moins bonhomme que celle d’un Emanuel Ax, Yefim Bronfman livra une version on ne peut plus «classique». Son jeu charnu, loin de tout pathos (notamment dans le Largo central où l’on sentit une main droite un peu dure), nous emmena dans un concerto carré, sérieux, où l’on s’est plutôt ennuyé. Où sont ces surprises beethovéniennes au détour d’une appogiature ou d’un léger ralenti (la transition, à la fin du premier mouvement, entre la cadence et le retour de l’orchestre n’ayant, par exemple, pas été des plus naturelles)? Pas ici en tout cas. Il faut dire qu’avec plus de cinquante cordes, le Philharmonique de Vienne n’a pas davantage joué la carte de la souplesse et de la légèreté, en dépit d’une direction enjouée et attentive d’Andrés Orozco-Estrada. Si les cordes viennoises offraient un tapis charnu de grand luxe, elles souffrirent par ailleurs d’un certain manque de mordant, la petite harmonie s’avérant assez neutre de son côté ; bref, une entrée en matière presque quelconque...
Quelques minutes de pause, le temps pour quelques musiciens, donc, de regagner les coulisses et, pour d’autres (notamment chez les cuivres) d’arriver sur scène, et nous voici face au Deuxième Concerto (1930-1931) de Bartók. D’emblée, soliste et chef (et donc orchestre) se montrent plus engagés dans une œuvre dont le compositeur disait lui-même qu’elle bénéficie du «caractère plus populaire et facile de la majeure partie des thèmes». Bronfman, qui a notamment interprété ce concerto sous la baguette de Valery Gergiev, s’amuse et dépasse par son implication le caractère tout de même redoutable de la partition. Dès l’Allegro introductif, les vents viennois (puisque dans ce mouvement, les cordes n’interviennent pas) dialoguent parfaitement avec Bronfman, les cors ronflant avec éclat et la trompette solo s’illustrant avec toute l’adresse dont Stefan Haimel est capable. Le deuxième mouvement opte pleinement pour la poésie, le doux roulement de timbales répondant parfaitement aux traits délicats du piano tandis que certains passages frappent par leurs couleurs (le sonore et lugubre enchaînement entre les contrebasses, les timbales et le piano notamment). Yefim Bronfman déploie toute sa technique dans le mouvement conclusif, le martèlement sauvage et d’une énergie communicative rappelant en plus d’une occasion le dernier mouvement du Concerto pour orchestre. Chaleureusement applaudi tant par le public que par les musiciens, Bronfman offrit une Arabesque de Schumann pleine de poésie, permettant à chacun de retrouver un rythme cardiaque normal...
La soirée était déjà bien avancée lorsque les Wiener Philharmoniker revinrent sur scène à la suite du Konzertmeister du soir, José Maria Blumenschein, les solistes affûtant leurs instruments pendant l’accord général, les pupitres des premiers violons et altos arborant comme à leur habitude un instrument de secours qui, ce soir, furent bien utiles! En effet, peu après le début de Petrouchka, le chef d’attaque des seconds violons, Tibor Kovác, cassa une partie de son instrument (l’âme sans doute) et dut prendre le violon de secours pour poursuivre normalement le concert. L’entrée en matière de Petrouchka fut étonnamment pesante, dirigée de façon beaucoup trop carrée et prosaïque par un Andrés Orozco-Estrada à la gestique pourtant assez souple: tout cela annonçait un ennui profond, Stravinsky ne figurant pas il est vrai parmi les compositeurs de prédilection du Philharmonique de Vienne. Et, petit miracle, dès la «Baraque du charlatan», la flûte solo, écoutée dans le plus profond silence, nous emmena dans une douce rêverie qui ne disparut qu’avec la dernière note de l’œuvre. Les bois furent étincelants (la «Danse russe»!), le piano (Herbert Rüdisser), le violon solo, le xylophone virevoltant tous à qui mieux mieux! Dirigeant avec une précision digne de tous les éloges, Andrés Orozco-Estrada veilla surtout à la grande diversité des climats, passant du velouté des clarinettes aux sarcasmes du cor anglais, les cordes viennoises s’enflammant de plus en plus au fil de la partition.
Le bis, l’ouverture de Russlan et Ludmilla de Glinka, conclut avec un incroyable panache un concert qui, s’il ne figurera pas dans les annales, témoignait en revanche de l’excellente relation entre l’orchestre et le Viennois Andrés Orozco-Estrada, celui-ci venant en effet d’être nommé directeur musical de l’Orchestre symphonique de Vienne à compter de la saison 2021-2022 et ayant été choisi pour diriger de nouveau le Philharmonique les 21, 22 et 25 avril prochain à la suite de la défection de Zubin Mehta pour raisons de santé.
Le site d’Andrés Orozco-Estrada
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne
Sébastien Gauthier
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