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Festspielhaus
03/27/2018 -  
Leonard Bernstein : Symphonie n° 2 « The Age of Anxiety »
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 7 en la majeur, opus 92

Krystian Zimerman (piano)
Berliner Philharmoniker, Simon Rattle (direction)


K. Zimerman, S. Rattle (© Michael Gregonowits)


En 1986, au cours d’un festival du London Symphony Orchestra dédié à Leonard Bernstein, un jeune pianiste polonais en début de carrière dénommé Krystian Zimerman eut le privilège de tenir la partie soliste de la Deuxième Symphonie « The Age of Anxiety » sous la direction du maestro et compositeur américain (une exécution passionnante, d’ailleurs immortalisée et disponible en DVD). Il devait s’ensuivre une collaboration durable et régulière. Mais dès ce premier concert, Bernstein avait établi avec ce nouveau collaborateur une complicité particulière, au point de lui demander en plaisantant ’Will you play this piece with me when I’m 100 ?.


Or Bernstein aurait fêté ses 100 ans cette année, commémoration pour laquelle Zimerman va tenir largement sa promesse puisqu’il a prévu de jouer cette Deuxième Symphonie à peu près partout où il sera invité en 2018, certes sans Bernstein mais avec des orchestres divers. A Londres, Baden-Baden, Berlin, Lucerne et Salzbourg en compagnie de Simon Rattle (tantôt avec le London Symphony tantôt avec les Berliner Philharmoniker), mais aussi à Bologne, Luxembourg, Prague, Varsovie... On sait que Zimerman aime bien se consacrer à peu d’œuvres à la fois, en les approfondissant beaucoup, mais là on lui souhaite quand même de ne pas trop se lasser à jouer toujours la même chose.


The Age of Anxiety est au départ un long poème de W. H. Auden, écrit à partir de 1944. Une sorte de méditation sur la solitude de quatre personnages qui se croisent et se parlent longuement dans la nuit new-yorkaise, d’abord accoudés dans un bar puis réfugiés dans l’appartement de l’un des quatre, pour une party improvisée. Propos décousus, rendus souvent un peu confus par l’abus d’alcool, et sur lesquels plane en permanence l’anxiety d’une période de guerre. Au petit matin, ces personnages se séparent et ne se reverront sans doute jamais. Mais une relative note d’optimisme prévaut : le jour se lève sur les avenues de New-York, une ère plus apaisée va peut-être pouvoir commencer...


La Deuxième Symphonie de Bernstein, créée en 1949 par l’Orchestre de Boston et Serge Koussevitzky, avec le compositeur lui-même tenant la partie de piano solo (il en reste un témoignage enregistré, tout à fait passionnant), suit très fidèlement ce poème d’Auden, à travers une série de variations pour orchestre et piano concertant qui cultivent une écriture gigogne compliquée. Pour qui s’est familiarisé avec l’œuvre sous la direction du compositeur, la lecture de Simon Rattle peut sembler décousue. Les sonorités franches des Berliner Philharmoniker manquent relativement de poésie nocturne et surtout d’idiomatisme anglo-saxon (on devrait entendre là-dedans bien davantage de lyrisme à la Copland, voire de souplesse comme improvisée). On en retire une impression bizarre et déroutante, avec de beaux passages poétiques (comme en passant dans la nuit devant une succession de fenêtres vivement éclairées, derrière lesquelles on distinguerait des silhouettes énigmatiques et figées, à la façon des peintures d’Edward Hopper) mais aussi des moments où les plans sonores ne semblent pas du tout hiérarchisés, avec des cascades d’accords qui ne paraissent plus avoir de sens. Au piano, Zimerman dépense des trésors de subtilité, approche de fin coloriste, presque debussyste. Les passages de grande virtuosité (il y a en quelques-uns de diaboliquement difficiles) ne sont pas négligés pour autant. Cela dit, ce n’est pas ici que le sens global de cette œuvre énigmatique va pouvoir émerger de façon vraiment claire.


Pour la Septième Symphonie de Beethoven donnée en seconde partie, l’effectif orchestral semble avoir fondu. Il reste encore beaucoup de cordes mais les bois sont distribués par deux seulement. Cette parcimonie pourrait paraître déséquilibrée, cela dit quand il y a dans cette petite harmonie des titulaires d’élite (Kelly, Pahud, Fuchs, Dohr...), certaines sonorités comptent au moins double. Et puis, curieusement, Simon Rattle a une façon particulière d’asphyxier les cordes dans certaines symphonies de Beethoven, en travaillant énormément sur les voix intermédiaires du quatuor pour y trouver de subites accentuations ou décolorations qui creusent les sonorités, voire les rendent émaciées. Et de tout le cycle des symphonies, c’est précisément la Septième sur laquelle il s’acharne avec le plus de constance, au nom d’un soi-disant extrémisme beethovénien dont il estime cette symphonie tout particulièrement emblématique « en termes de rythme, d’émotions, et quasiment d’hystérie ».


Nous voici prévenus, et effectivement l’exécution de ce soir n’est pas de tout repos. Après une introduction déjà nerveuse mais assez belle, l’orchestre se cabre, avec des approximations qui certes suscitent un certain sentiment d’urgence mais ne sont guère élégantes. L’Allegretto a davantage d’allure, scandé à un tempo très juste et soutenu par six contrebasses berlinoises ronflantes à souhait (il y a aussi dans un coin deux contrebassons qui doivent rajouter un peu de remugle bourdonnant aux cordes graves, sans que l’on daigne toutefois nous indiquer par quelle fantaisie ou licence on a eu l’idée de les installer là). Malheureusement, après un Scherzo aux sections intermédiaires délibérément rustiques, le Finale démarre sur les chapeaux de roues et tourne au délire total : tempo infernal, traits tellement rapides que les archets ne font plus que racler les cordes en une effervescence indistincte... Construire des gradations dynamiques devient difficile, d’autant plus que le timbalier martèle le tout d’un rideau de projectiles sonores d’une laideur éprouvante. Une interprétation expérimentale sans doute, hystérique peut-être, assurément impressionnante par l’aptitude de l’orchestre à créer un tel vortex tout en résistant au choc sans débandade. Cela dit, à quoi bon, si le résultat doit sonner à ce point crispé et pulvérisé ?


C’est peut-être le bon moment pour redonner la parole à Berlioz, vitupérant dans ses Mémoires notamment un Habeneck, chef d’orchestre qui déjà tripatouillait Beethoven, notamment en retranchant ou en rajoutant des instruments, aménagements que Berlioz qualifiait alors de « monstrueuses immoralités » (sic). « Non, non, non, dix millions de fois non, musiciens, poètes, prosateurs, acteurs, pianistes, chefs d’orchestre, du troisième ou du second ordre, et même du premier, vous n’avez pas le droit de toucher aux Beethoven et aux Shakespeare, pour leur faire l’aumône de votre "science" et de votre "goût". » Critique-né, Berlioz se laissait volontiers emporter par sa prose flamboyante, mais comment ne pas lui donner raison!



Laurent Barthel

 

 

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