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Benvenuto en trompe-l’œil

Paris
Opéra Bastille
03/20/2018 -  et 23, 26, 29 mars, 1er, 4, 7, 11, 14 avril 2018
Hector Berlioz : Benvenuto Cellini, H. 76
John Osborn (Benvenuto Cellini), Maurizio Muraro (Giacomo Balducci), Audun Iversen (Fieramosca), Pretty Yende (Teresa), Marco Spotti (Le pape Clément VII), Michèle Losier (Ascanio), Vincent Delhoume (Francesco), Luc Bertin-Hugault (Bernardino), Rodolphe Briand (Pompeo), Se-Jin Hwang (Cabaretier)
Chœur de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Terry Gilliam (mise en scène, décors), Leah Hausman (mise en scène, chorégraphie), Aaron Marsden (décors), Rae Smith (conception scénographique), Katrina Lindsay (costumes), Paule Constable (lumières), Finn Ross (vidéo)


M. Losier, J. Osborn (© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


L’Opéra n’avait pas donné Benvenuto Cellini depuis 1993... ce retour à l’affiche était donc un événement. Il est vrai que l’œuvre, qui respecte et fait éclater les cadres du grand opéra, reste difficile et a toujours eu du mal à s’imposer – on met plus volontiers Les Troyens à l’affiche. Créée en 1838, elle fit « une chute éclatante », comme le confessa Berlioz lui-même. Liszt la reprit à Weimar en 1852... en l’abrégeant. Après, un siècle s’écoula, jusqu’à ce que John Pritchard, en 1966, lui redonne son vrai visage à Covent Garden.


On s’attendait à une production maison, mais l’Opéra a préféré importer celle de Terry Gilliam, déjà vue à Amsterdam, Rome et Londres (English National Opera). Ce n’est donc un « nouveau spectacle » que pour le public parisien. Paradoxalement, faire appel à l’un des membres des Monty Python n’avait rien d’incongru. L’opéra de Berlioz n’est-il pas un joyeux foutoir, un exubérant carnaval ? C’est bien cela que nous offre le metteur en scène : une jubilatoire farce nocturne, truculente et bigarrée, avec marionnettes géantes, pluie de confettis inondant la salle, pleine de détournements cocasses ou insolents. Le décor reproduit, par exemple, les prisons de Piranèse, alors que l’entrée d’un pape ressemblant à Turandot fait penser à Pierre et Gilles. C’est flamboyant, baroque, mais assez littéral malgré les clins d’œil. Encore que... Le grand spectacle circassien confond en effet l’agitation et le mouvement, devient vite répétitif et tourne sur lui-même, manque de rythme au fond. Il sacrifie surtout ce que Berlioz, en bon romantique, a mis au cœur de son opéra : les tourments de la création. La direction d’acteurs s’attache d’ailleurs peu aux personnages, d’abord occupée à mettre et maintenir en branle l’énorme mécanique carnavalesque. Ainsi, Benvenuto, perdu dans cette démesure, n’a plus rien de cette figure de l’artiste conquérant – lui qui est l’exacte antithèse du suicidaire Hernani. On en a plein la vue, mais c’est du tape-à-l’œil... voire du trompe-l’œil. Le coup, en tout cas, est réussi : le public réserve à Gilliam un accueil triomphal.


Notre ennui – osons le mot – eût-il été le même si l’orchestre avait été autrement dirigé ? Sans doute la fosse, à mille lieues de l’esprit de la production, a-t-elle contaminé notre perception de la scène. Philippe Jordan, qui dirige un mélange des différentes versions de l’œuvre, n’est que raideur et sécheresse, manque d’humour et de fantaisie, privilégiant maniaquement le détail au détriment de la conduite du drame : cette lecture décousue fige même le carnaval. Comme s’il craignait d’être débordé, bridant un orchestre dont il n’a pourtant rien à craindre. Tension de la première, peut-être...


Côté distribution, l’Opéra a encore réussi l’exploit de refuser à des chanteurs français des rôles pour lesquels on les eût trouvés sans difficulté. Ignore-t-il par exemple que le meilleur Fieramosca actuel s’appelle Laurent Naouri ? Il nous inflige un Audun Iversen totalement incongru, comme le Balducci de Maurizio Muraro, qu’on entend d’ailleurs à peine, le style français n’étant pas plus familier au Pape de Marco Spotti. Assez contrainte au premier acte, Pretty Yende est charmante, rien de plus, et fait des efforts en matière d’articulation. Mais elle reste ici très loin du magnifique Ascanio de Michèle Losier, stylistiquement parfaite et scéniquement très présente. Un page digne de son maître, le superbe John Osborn, au phrasé si raffiné, qui s’est approprié depuis longtemps les canons du chant français, avec une émission assez souple pour assumer toute la tessiture du rôle et émettre des aigus en messa di voce, à la fois amant transi et artiste en proie au doute – on ne déplore qu’un timbre un peu nasal. Pas de Benvenuto sans chœur, dont la partie est redoutable : il est remarquable.



Didier van Moere

 

 

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