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Vers tout un monde lointain, ou les passerelles du temps

Bordeaux
Grand Théâtre
09/11/2001 -  du 11 au 16 Septembre 2001
Concours International de Quatuors à Cordes de Bordeaux.
· 13 Septembre, 20h30 : Concert du Jury ; Quatuor Borodine - Marianna Sirbu, violon - Bruno Giuranna, alto - Alain Meunier, violoncelle - Christian Ivaldi, piano. Dimitri Chostakovitch : 8° Quatuor en ut mineur , Johannes Brahms : Quatuor avec piano n°1 opus 25
· 15 Septembre, 20h30 : Concert du Quatuor Sine Nomine. Friedrich-Ernst Fesca : 14° Quatuor, Ludwig van Beethoven : Quatuor opus 18 n° 2 en sol majeur, Claude Debussy : Quatuor opus 10 en sol mineur
· 16 Septembre, 11h : Concert des Lauréats et Remise des Prix. Belá Bartok : Quatuor n° 5 Sz 102 (Quatuor Ruysdael), Ludwig van Beethoven : Quatuor opus 18 n° 6 " la Malinconia " (Quatuor Psophos).


Dans un univers qui, peu à peu, s'adonne à la folie la plus sauvage, le pouvoir de la Musique a fait prévaloir, le temps d'une semaine mémorable, les vertus de respect, de tolérance et de partage. D'ailleurs, Beethoven était l'invité d'honneur de ce deuxième concours festivalier, bénéficiant de l'acoustique miraculeuse du Grand Théâtre ; et ce, sous l'égide du violoncelliste Alain Meunier. Le même Beethoven n'est-il pas le zélateur de la liberté des peuples, dénonçant toute oppression ou régime de dictature propre à rabaisser le genre humain ? Le créateur de l'emblématique Fidelio aimait à dire : " en chaque être, se cache une étincelle divine. "


Or, cette étincelle a habité les divers et nombreux candidats en lice, au total une dizaine. De plus, ces superbes joutes de brillants quartettistes ont offert une occasion unique d'approcher des constellations connues, ou que l'on croit connaître - Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Brahms -, et des sphères sonores insolites : Maurice Ohana (1914-1992), avec escale obligée sur le nébuleux Bartok. En un mot comme en cent, la compétition promettait d'être excellente, d'autant que le genre " quatuor " traîne parfois une réputation de forme musicale rébarbative, austère, voire ascétique.


A ce sujet, tout a priori a volé en éclats : en effet, dès le premier tour des épreuves, un quatuor français, créé en 1997, composé de musiciennes accomplies au minois séduisant, se hisse à un niveau tel dans l'ineffable Opus 18 n°6 de Beethoven, que l'on songe déjà qu'elles ont - grâce à leur charisme évident - le profil idéal de finalistes. Cohérence dans leur jeu, maturité surprenante de la part d'aussi jeunes artistes ; rejet de tout style salonnard empesé, exubérante rigueur stylistique. Il est clair qu'elles traitent avec audace cette partition essentielle comme si l'auteur de Coriolan était annonciateur de Bartok ou d'Ohana, tissant par-là même des filiations inédites entre des mondes en apparence très éloignés.

Leur nom : Psophos ; traduit du grec, ce terme énigmatique qui semble se référer à la science-fiction " lucassienne ", signifie : la Matière Sonore, l'Origine du Son. Dès lors, et sans chauvinisme aucun, il faut noter que les autres compétiteurs, malgré une sensibilité différente et d'autres atouts indéniables, peinent à s'imposer. Exemples : les très professionnels Américains de Coolidge, les Néerlandais de Ruysdael, les Italiens (Bernini) ou encore les Russes (Dominant), curieusement privés de toute démesure slave.


Il leur est impossible d'arrêter la course de Psophos qui, tel un module interstellaire, aborde en conquérant, avec des archets incandescents, le lyrisme torturé, halluciné, fantasmagorique d'Ohana (n°2). Chaque séquence musicale s'entortille autour d'une tonalité obsédante ; en quelque sorte chaque ligne mélodique est une savante reptation déstructurée. Résultat ? Le jury, après moult négociations âpres, consacre la Victoire de Psophos : Premier Grand Prix, plus quatre autres, dont celui de la Presse à l'unanimité, et celui de l'Association Maurice Ohana. Force est de reconnaître que le second lauréat, Ruysdael, Prix de la Sacem, libéré de la pression des jours passés, se lance dans une lecture convaincante du terrifiant Cinquième de Bartok.


L'autre moment-phare est le Concert du Jury. Au quatuor Borodine de délivrer une magistrale interprétation du Huitième de Chostakovitch. Dédiée ce soir-là aux Victimes Américaines, l'oeuvre, d'une brûlante actualité, pourrait s'intituler : complainte et prière pour l'humanité errante. En philosophe humaniste, le compositeur russe a recueilli toutes les larmes de la terre meurtrie, en posant un regard rempli à la fois d'immense tendresse et d'ironie grinçante sur l'absurdité de la guerre. Après cette musique de l'Apocalypse, Brahms apporte un salutaire ensoleillement, avec un rondo alla zingarese pris à une allure folle - là, on croit entendre du blues mâtiné de jazz !


Déception en revanche avec le Quatuor Sine Nomine, pâlot, inexpressif dans Beethoven et l'unique oeuvre de Debussy. Quant à la musiquette inconsistante de Fesca (1789-1826), quasi contemporain de Weber, ce n'est pas la partition du siècle ! Somme toute, une semaine enivrante qui fait songer à la réplique du Compositeur de l'Ariane de Strauss : " la Musique est un sublime et saint Art qui concentre les plus folles audaces, le plus saint parmi les Arts des Hommes. " Vivement 2003 !





Etienne Müller

 

 

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