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Aux prises avec les sortilèges berlinois

Berlin
Philharmonie
03/01/2018 -  et 2, 3* (Berlin), 26 (Baden-Baden) mars 2018
Franz Schubert : Prometheus, D. 674 – An die Musik, D. 547 (orchestrations Max Reger) – Erlkönig, D. 328 (orchestration Hector Berlioz) – Memnon, D. 541 – An Schwager Kronos, D. 369 (orchestrations Johannes Brahms) – Lazarus, oder: Die Feier der Auferstehung, D. 689: Récitatif et air «Wo bin ich? O könnt’ ich, Allgewaltiger»
Richard Strauss : Eine Alpensinfonie, opus 64

Gerald Finley (baryton)
Berliner Philharmoniker, Daniel Harding (direction)


D. Harding (© Julian Hargreaves)


Franz Schubert (1797-1828) est bien évidemment un maître absolu dans le domaine du lied, où la voix trouve comme partenaire d’élection le piano, seul véritable instrument capable de répondre sur les mêmes tons et les mêmes modulations aux soupirs et emportements de la voix humaine... C’était sans compter un grand nombre de compositeurs qui, tombés sous le charme de ces partitions, entreprirent d’en transcrire un certain nombre pour voix et orchestre, de Johannes Brahms (par exemple le lied Jäger, Ruhe von der Jagd) à Benjamin Britten (qui orchestra Die Forelle), de Franz Liszt (Die junge Nonne) à Jacques Offenbach («Ständchen» du Chant du cygne, plus connu sous le nom de la «Sérénade de Schubert»)...


Certains Lieder furent composés pour une mezzo-soprano; ce soir, dans le cadre du troisième concert de la semaine de l’Orchestre philharmonique de Berlin, c’est Gerald Finley qui officiait pour des œuvres destinées cette fois-ci à un baryton. Le résultat fut tout simplement exceptionnel tant le chanteur canadien (rappelons qu’il est né à Montréal) parvient à incarner ses personnages, possédant pour ce faire un art de la diction et une musicalité incomparables. Dans le très solaire An die Musik, l’alchimie est totale avec une petite harmonie au diapason du climat souhaité (on croit entendre Rosamunde!), Finley adoucissant les mots avec une délicatesse sans fard avant, dans le célèbre Roi des aulnes orchestré par Berlioz, de s’emporter, de frémir, de crier même (la façon dont il a jeté au public le mot Vater!). Si le Prometheus, dans la version de Reger, frappe par sa noirceur, c’est en revanche le côté brillant de l’orchestre qui interpelle dans le deuxième lied adapté par Brahms, An Schwager Kronos, Gerald Finley trouvant le ton juste que que soit le climat réclamé par le lied. Dommage que l’orchestre ait eu tendance à parfois légèrement couvrir la voix dans Le Roi des aulnes.


La dernière œuvre de cette première partie était non une transcription mais un extrait de Lazare, sorte d’oratorio composé par Schubert, dont il manque tout le troisième acte et qui ne fut redécouvert que presque quarante ans après la mort du compositeur. Gerald Finley, dans un climat orchestral marqué par les coups du destin, sut parfaitement adopter la déclamation idoine dans une pièce où l’on se situe sur une véritable ligne de crête entre l’intimité du lied et le grandiose de l’oratorio, les musiciens (superbe passage entre bois et altos) du Philharmonique déployant une palette de couleurs tout à fait exceptionnelle. Chaleureusement applaudi, Gerald Finley donna en bis le lied Du bis die Ruh dans l’orchestration d’Anton Webern: peut-être le clou de ce récital, dont on se demande pourquoi ce genre n’est pas plus fréquemment programmé.


Changement radical pour la seconde partie du concert: les contrebasses passent de trois à sept, les cors de quatre à huit (sans compter ceux requis en coulisse au moment de «L’Ascension»), les trompettes de deux à cinq, les timbales sont doublées et se voient adjoindre pléthore de percussions, les bois se multiplient et les cordes peinent presque à chacune trouver leur place sur la grande scène de la Philharmonie de Berlin. Car c’est bien d’un orchestre foisonnant dont on a besoin pour interpréter la Symphonie alpestre (1911-1915) de Richard Strauss (1864-1949)! Daniel Harding chérit cette œuvre dont il a donné d’excellentes versions tant au disque avec le Saito Kinen Orchestra qu’en concert avec, dernièrement, l’Orchestre de Paris: on aura assisté ce soir à une nouvelle et indéniable réussite.


Commençons néanmoins par regretter une absence générale de nuances, l’orchestre ayant trop tendance à passer du mezzo forte au triple forte, les pianissimi et autres nuances du même acabit n’existant qu’à la faveur d’un effectif minimaliste, certaines attaques des bois ayant de fait été un peu stridentes, voire brutales. On aura également perçu, de temps à autre, quelques déséquilibres entre pupitres, Harding ayant parfois tendance à privilégier le détail orchestral ou le contrechant sur la cohésion générale. Enfin, et c’est plus étonnant, on a de temps à autre assisté à de légères baisses de tension de la part... du chef! En effet, la gestique ample et la battue visuellement très claire de Harding ont, en quelques occasions, paru automatiques, l’implication physique semblant de fait faire quelque peu défaut.


Mais c’était sans compter avec un orchestre qui, comme en cette soirée, ne connaît actuellement aucun rival dans ce type de répertoire, fût-il par exemple viennois ou amstellodamois. Les Berliner Philharmoniker offrirent une démonstration comme on en a rarement vue grâce à des solistes absolument superlatifs (ovations délirantes au moment des saluts mais ô combien méritées à l’adresse du corniste Stefan Dohr ou du trompettiste Gábor Tarkövi, impeccable dans le redoutable passage «Sur le glacier») et à des pupitres exceptionnels dans leur totalité. Stefan Dohr dont le seul qualificatif possible serait, excusez-nous de cette familiarité, increvable tant il relançait sans cesse ses sept acolytes (et même l’ensemble de l’orchestre) juste après s’être donné à fond dans un solo des plus périlleux: hallucinant! On a par ailleurs déjà eu l’occasion de l’écrire mais les contrebasses berlinoises (conduites pour l’occasion par Janne Saksala) offrirent ce soir l’image d’une armée à elles toutes seules que rien ne peut arrêter: la façon dont elles empoignèrent l’ensemble de l’orchestre au début de «L’Ascension» ou l’énergie avec laquelle leurs archets tressautèrent en chœur sur les cordes à la fin de «Tonnerre, orage et descente» était un spectacle à la fois oral et visuel à vous donner la chair de poule. La précision des interventions (citons seulement le hautboïste Jonathan Kelly ou le toujours excellent Dominik Wollenweber au cor anglais) et l’engagement sans faille de l’orchestre («Au sommet», passage d’une plénitude absolue!) témoignèrent des qualités exceptionnelles d’une phalange dont tout membre est à lui seul un soliste du plus haut niveau. Au moment des saluts, chaque spectateur ne pouvait donc que rendre les armes devant une perfection qu’il n’était pas près d’oublier.


Le site de Gerald Finley



Sébastien Gauthier

 

 

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