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Quand Werther sortira du placard…

Strasbourg
Opéra national du Rhin
02/09/2018 -  et 11, 13*, 15, 17 février (Strasbourg), 2, 4 mars (Mulhouse) 2018
Jules Massenet : Werther
Massimo Giordano (Werther), Anaïk Morel (Charlotte), Régis Mengus (Albert), Jennifer Courcier (Sophie), Kristian Paul (Le Bailli), Loïc Félix (Schmidt), Jean-Gabriel Saint-Martin (Johann)
Petits Chanteurs de Strasbourg, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Ariane Matiakh (direction)
Tatjana Gürbaca (mise en scène), Klaus Grünberg (décor), Silke Willrett (costumes)


(© Klara Beck)


Tatjana Gürbaca a déjà un long passé scénique derrière elle, essentiellement dans des théâtres de troupe allemands où son Regietheater plutôt radical laisse en général des impressions mitigées. On se laisse intriguer ou on rejette, et à titre personnel on a le plus souvent détesté ce qu’on a pu voir dans divers théâtres sous cette signature controversée. Dès lors, que ce Werther zurichois, fraîchement accueilli dans nos colonnes par Claudio Poloni, ait pu susciter là-bas des réactions partagées ne nous étonnait pas vraiment.


Le décor de Klaus Grünberg est cependant moins tragiquement laid que ce que l’on pouvait redouter, du moins en voyant les photographies de la production. Avec force placards, recoins et étagères, cette mise en confort moderne de l’ermitage du Bailli, façon valorisation rationnelle de petits espaces par une quelconque chaîne de mobilier modulaire contemporain, n’est pas sans pertinence. Il s’en dégage à la fois une sensation de confort fonctionnel et une impression tenace d’étouffement, de vie totalement conventionnelle et standardisée. Une façon appuyée de nous faire comprendre que dans de telles conditions la pauvre Charlotte ne peut que ressentir chaque arrivée de Werther comme une bouffée d’oxygène salvatrice. Mais surtout cet espace réduit présente l’immense avantage pratique de bloquer les chanteurs à l’avant-scène et de renvoyer parfaitement leur voix vers la salle. Du fait de cette constante proximité on peut comprendre sans effort chaque mot du texte et le recours au surtitrage devient inutile.


Beaucoup de scènes de Werther sont d’un réalisme bourgeois relativement prosaïque. Toute cette vie quotidienne d’un petit bourg de province allemand passe en général assez mal à la scène. Or la mise en boîte qu’accomplit cette production, au sens propre du terme en l’occurrence, fait assez bien fonctionner ces aspects-là : le goûter des enfants, les scènes de beuverie de célibataires endurcis, le repas du pasteur... autant de peaux de banane sur lesquelles Tatjana Gürbaca parvient à marcher prudemment, sans trop se casser la figure. Mais aussi sans savoir s’arrêter à temps : trop de figurants impavides et inutiles dans la scène du clair de lune, par exemple. Et surtout, à quoi bon à ce moment-là faire enfiler des gants en caoutchouc jaune à Charlotte, pour faire la vaisselle ! Calamiteux préparatifs de Noël ensuite : Charlotte passe sa mauvaise humeur en piétinant les boules de verre destinées à un sapin en plastique, et les protagonistes se prennent les pieds dans les longs fils de guirlandes qu’ils ont eux-mêmes tirés en tous sens. On préfère de loin l’émotion de la scène finale, avec son couple de vieillards se tenant la main à l’arrière-plan, image touchante de ce qu’aurait pu devenir sur le tard le couple Charlotte-Werther, tendrement assorti et irrémédiablement embourgeoisé, le soir à la chandelle...


Soirée visuellement morose, donc, à laquelle manque tout un espace naturel romantique à la Caspar Friedrich que pourtant la musique de Massenet appelle irrésistiblement. Il faut se contenter des beaux paysages orchestraux dessinés par Ariane Matiakh, qui réussit à donner corps et prestance à l’Orchestre symphonique de Mulhouse. On apprécie ces sonorités pleines et ces phrasés généreux, même si les passages qui requièrent tel plus d’ampleur, en particulier en seconde partie, plafonnent en puissance, sans parvenir à faire voler en éclats le cadre trop étriqué de la soirée. Le souvenir de Michel Plasson, qui dirigeait la production précédente de l’Opéra du Rhin à la tête du même orchestre, avec un résultat moins homogène mais parfois nettement plus dramatique, reste difficile à égaler sur ces aspects-là.


Côté voix aussi, la passion est plutôt présente du côté de Massimo Giordano, Werther très italien de timbre et assez châtié d’élocution, à quelques excès de soleil dans le français près, que chez Anaïk Morel, Charlotte un peu trop réservée, qui attend la seconde partie de la soirée pour révéler davantage de chaleur et d’engagement. L’air des lettres est bien construit, et «Va, laisse mes larmes» déverse enfin les trop-pleins d’énergie qui se faisaient jusqu’ici un peu désirer. Mais c’est surtout «Lorsque l’enfant revient d’un voyage» et le Lied d’Ossian de son partenaire que l’on gardera en mémoire, aigus solaires, justes, et même relativement nuancés inclus. Même si l’idiomatisme de ces passages-clés reste parfois discutable, on trouve là une véritable substance de grand opéra, avec de vraies prises de risque, toutes couronnées de succès.


Entourage soigneusement distribué, depuis la Sophie juvénile et nullement acidulée de Jennifer Courcier, en passant par les excellents Loïc Félix et Jean-Gabriel Saint-Martin en Schmidt et Johann, sans oublier le Bailli débonnaire mais bien en voix de Kristian Paul. Régis Mengus passionne peu en Albert, doté de surcroît d’un timbre un peu creux, mais le rôle est évidemment ingrat. Beaucoup d’atouts vocaux pour un grand Werther étaient réunis, là où nous n’aurons perçu en définitive, faute d’ambitions scéniques moins sèchement intellectuelles, qu’une épure trop froide.



Laurent Barthel

 

 

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