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Les «sons extra-territoriaux»

Paris
Palais Garnier
09/17/2001 -  et 18, 20, 21, 22 septembre 2001
Helmut Lachenmann : Das Mädchen mit den Schwefelhölzern (La Petite Fille aux allumettes)
Elisabeth Keusch, Sarah Leonard (sopranos), Salome Kammer (récitante)
Orchestre et Chœurs du Staatstheater Stuttgart, Lothar Zagrosek (direction)
Peter Mussbach (mise en scène)


Donner en création française un opéra contenant un texte d’un membre de la «bande à Baader» - Gudrun Ensslin – une semaine après les terrifiants attentats de New York peut sembler, au minimum, une coïncidence malheureuse. Mais le jugement sans ambiguïté du compositeur sur les actes («Il n’y a aucun doute que son action fût criminelle») remet les choses à leur place. Le texte, comparant «le criminel, le fou, le suicidé» est pris pour sa seule valeur artistique, le reste appartient au jugement des hommes. On comprend moins, par contre, la fascination morbide des responsables du programme de l’opéra qui, au risque de brouiller le message du Lachenmann, publient un autre texte de la terroriste d’une stupidité et d’une haine incommensurables, une copieuse chronologie des faits d’armes de la Fraction Armée Rouge (!) et un texte plus que complaisant de Marcel Schneider (le terroriste «fait le choix de la mort, la sienne et celle des autres, pour donner un sens à la vie», bah voyons). Que ces pervers aillent faire un tour à Manhattan.


Considéré comme le plus important compositeur allemand après Karlheinz Stockhausen, Helmut Lachenmann veut surtout nous apprendre à écouter, c’est à dire nous désapprendre une certaine facilité, une habitude, un consensus sonores auxquels nombre de compositeurs contemporains n’échappent pas. Revenant à la source, il nous donne à entendre les matériaux même des instruments, décortique les gestes des musiciens, leur attitude au point que le spectacle se trouve tout autant dans la fosse que sur la scène ! Chaque œuvre de Lachenmann est un théâtre tant la cérémonie du concert implose sous nos yeux. Tel violoniste fera simplement glisser son archet sur les cordes sans produire aucun son «violonistique» mais, justement, en nous donnant à entendre le frottement sourd des cordes. Tel trompettiste ne nous fera entendre que les modulations de son souffle. Toujours aux frontières du silence, l’arrivée même du «son» (celui que l’on «attend» de l’instrument) apparaîtra ainsi comme une fantastique victoire de l’homme sur les éléments, une sorte de libération, une lumière indicible. «Ma musique est un refus rigoureusement déconstruit, une exclusion des attentes auditives qui se présentent à moi comme prédéterminées par la société» explique Lachenmann, qui parle aussi de «sons extra-territoriaux» avec toute la charge révolutionnaire que cela implique.


Avec La Petite Fille aux allumettes, d’après le célèbre conte d’Andersen, cela donne, par exemple, une sensation quasi physique du froid avec des lèvres tremblantes découpant le flux vocal, le vent glacé du récit qui parcourt les instruments eux-mêmes, le bruit de l’allumette qui s’allume s’immisçant dans les voix. Les découvertes sonores sont captivantes ! Ayant moins écrit un opéra qu’un oratorio (il n’y a pas de chanteurs sur scène, seulement deux sopranos), Helmut Lachenmann ne s’autorise pas moins cependant des gestes lyriques dont la plénitude peut surprendre chez cet esprit austère et rigoureux. Certains passages heurtés et violents évoquent le Zimmermann des Soldats. Mais c’est surtout la richesse de son langage qui impressionne et qui font que ces deux heures de musique connaissent très peu de temps morts.


Le sérieux de Lothar Zagrosek, le travail sobre de Peter Mussbach donnent toute leur chance à cette œuvre déroutante mais accessible, témoignage d’une réflexion peu commune dans le domaine des arts.



Philippe Herlin

 

 

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