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Marina Rebeka, chanteuse et tragédienne Paris Opéra Bastille 02/02/2018 - et 5, 8*, 11, 17, 21, 25, 28 février 2018 Giuseppe Verdi : La traviata Marina Rebeka*/Anna Netrebko (Violetta Valéry), Virginie Verrez (Flora Bervoix), Isabelle Druet (Annina), Rame Lahaj*/Charles Castronovo (Alfredo Germont), Vitaliy Bilyy*/Plácido Domingo (Giorgio Germont), Julien Dran (Gastone de Letorières), Philippe Rouillon (Il barone Douphol), Tiago Matos (Il marchese d’Obigny), Tomislav Lavoie (Dottor Grenvil), John Bernard (Giuseppe), Christian-Rodrigue Moungoungou (Domestico), Pierpaolo Palloni (Commissionario)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Dan Ettinger (direction musicale)
Benoît Jacquot (mise en scène), Sylvain Chauvelot (décors), Christian Gasc (costumes), André Diot (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)
M. Rebeka, V. Bilyy (© Emilie Brouchon/Opéra national de Paris)
Le chœur figé... les Bohémiennes et les matadors travestis... Annina sortie tout droit de l’Olympia de Manet... voici encore La Traviata mise en scène par Benoît Jacquot, sur laquelle on ne reviendra guère (voir par ailleurs ici). Elle ne séduit pas plus aujourd’hui qu’hier, avec une direction d’acteurs finalement bien pauvre, qui manque singulièrement de tension. Werther l’avait beaucoup plus inspiré... On ne regrette pas, pourtant, d’avoir revu la courtisane verdienne.
Marina Rebeka, en effet, s’y montre magnifique, elle qu’on a tort d’associer trop souvent à Rossini. Plus charnue, plus large, la voix a un médium et un grave plus soutenus que celle de beaucoup de Violetta – n’a-t-elle pas, elle, déjà été Norma ? Mais la souplesse de l’émission lui permet de magnifiques allégements, notamment dans les vocalises de « Sempre libera », d’une grande précision, ou dans la superbe messa di voce de la fin d’« Addio del passato », où la variété du coloris magnifie l’expression du sentiment, comme l’exige le bel canto. Quel style, quelle présence ! Voilà non seulement une chanteuse, mais une tragédienne, dont le dernier acte, pourtant jamais entaché de vérisme douteux, plonge au plus profond de l’angoisse et du désespoir.
Avoir apparié à une telle Violetta l’Alfredo pâlichon de Rame Lahaj, dont la voix trop en arrière peine à se projeter à Bastille, est une idée bien malheureuse. La probité scrupuleuse du ténor kosovar ne suffit pas, lui fait défaut l’éclat juvénile de l’amant éperdu, ce qui éteint la cabalette du deuxième acte, au contre-ut fort modeste – sa partenaire s’est abstenue du mi bémol tout aussi facultatif à la fin du premier, avant de le mettre à la peine au moment de jeter l’argent du jeu au visage de Violetta. Le fils reste dans l’ombre du père, un Vitaliy Bilyy parfaitement stylé, à l’autorité nuancée, plus protecteur que commandeur – la voix n’est d’ailleurs pas très puissante, fidèle aux indications de Verdi là où beaucoup ne connaissent guère que la nuance forte. Le duo du deuxième acte, où l’on entend vraiment ce qui est écrit, est magnifique, comme le « Di Provenza il mar », amputé d’une cabalette aussi dramatiquement inutile que celle d’Alfredo.
Si peu inspiré par La Clémence de Titus, Dan Ettinger donne ici toute sa mesure, dès un Prélude d’une grande intensité, où tout l’orchestre chante. Mais s’il prend l’opéra à bras-le-corps, la théâtralité, avec quelques décalages au premier acte mais un final du deuxième remarquablement conduit, s’allie chez lui à un grand raffinement, à un sens des couleurs, à une imagination – magnifique frémissement des cordes pour l’accompagnement du « De’ miei bollenti spiriti » d’Alfredo. Des détails d’une partition pourtant connue par cœur prennent parfois un relief inattendu.
Comme on n’a pas lésiné sur les seconds rôles, que la Flora de Virginie Verrez, l’Annina d’Isabelle Druet ou le Gastone de Julien Dran, pour ne rien dire du Baron de Philippe Rouillon ou du Docteur de Tomislav Lavoie, sont de haute école, cette reprise se justifie, malgré les insuffisances de la mise en scène et la modestie d’Alfredo.
Didier van Moere
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