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La tornade Sinkovsky

Paris
Salle Gaveau
01/24/2018 -  
«L’Art des castrats»
Antonio Vivaldi : Cantates pour alto, cordes et continuo «Cessate, omai cessate», RV 684, et «Amor hai vinto», RV 683
Georg Philipp Telemann : Concerto pour violon et orchestre en si bémol majeur, TWV 51:B1
Georg Friedrich Händel : Partenope, HWV 27: air d’Arsace «Furibondo spira il vento – Tolomeo, rè d’Egitto, HWV 25: récit et air de Tolomeo «Che più si tarda omai» et «Stille amare» – Tamerlano, HWV 18: air de Tamerlano «A dispetto d’un volto ingrato» – Agrippina, HWV 6: air d’Ottone «Voi che udite»
Jean-Marie Leclair : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, opus 7 n° 2

Jakub Józef Orlinski (contre-ténor)
Il Pomo d’Oro, Dmitry Sinkovsky (violon solo et direction)


J. J. Orlinski (© Anita Wasik)


Salle Gaveau comble ce soir pour cet unique concert d’une des nouvelles coqueluches du monde des contre-ténors (dont un mensuel de musique classique se demandait récemment s’il allait devenir «la star de la décennie prochaine»), en la personne du jeune polonais Jakub Józef Orlinski (né en 1990) au regard clair et dur, débordant d’une énergie juvénile. Et, fort d’une bonne réputation, les amateurs ne pouvaient que se presser, surtout lorsque l’intéressé est accompagné par un ensemble baroque aussi talentueux qu’Il Pomo d’Oro, dirigé du violon par l’extravagant Dmitry Sinkovsky.


Or, on est ressorti de ce concert plus dubitatif qu’enthousiaste dans la mesure où Orlinski ne nous aura jamais véritablement convaincu. Dès les premiers accords de la fameuse cantate Cessate, omai cessate de Vivaldi, Il Pomo d’Oro sonne petit: il est vrai que, premier violon compris, ils ne sont que sept musiciens sur scène... Il en ressort une sècheresse et une verdeur constantes qui serviront malheureusement de leitmotiv à l’ensemble de la soirée. Dans le premier air, magnifique, «Ah ch’infelice sempre», Orlinski manque de finesse dans le phrasé et révèle un souffle parfois trop court. En outre, dans l’accompagnement, même si la partition est bien marquée Tutti pizzicati, uno con l’arco, les volutes violonistiques de Sinkovsky, fort élégamment faites par ailleurs, s’avèrent omniprésentes et finissent par presque reléguer la voix au second plan, ce qui pose donc un problème d’équilibre préjudiciable à l’œuvre. On n’est pas davantage convaincu par la seconde cantate de Vivaldi qui était au programme, moins connue que la précédente. Le premier air «Passa di pena in pena» est bien réalisé mais Jakub Józef Orlinski témoigne là encore d’un léger manque de souffle, révélant une technique sans doute perfectible. Si le second air (ces cantates vivaldiennes alternant très classiquement deux récitatifs et deux airs) s’avère meilleur du point de vue de la voix, c’est de nouveau Sinkovsky qui suscite le débat: son violon souvent acide (notamment dans les accents) tend parfois à se placer sur une ligne de crête où la vulgarité pointe le bout de son nez mais, en définitive, son jeu véloce convainc plutôt, quitte certes à nous bousculer.


Les divers extraits d’opéras de Händel ont pour premier mérite de faire écouter au public plutôt des raretés: pas de énième «Ombra mai fù» (Serse) ou de énième «Lascia ch’io pianga» (Rinaldo): ouf! Second mérite, ces extraits ne sont pas tous, même s’il y en a, des morceaux de bravoure où le chanteur ne cherche qu’à éblouir le public grâce à une technique vocale capable d’enchaîner les volutes les plus incroyables; l’air «Voi che udite» tiré d’Agrippina l’a amplement prouvé. Bien que Jakub Józef Orlinski se soit déjà fait remarquer dans Händel (il chantera d’ailleurs au mois de mars le rôle d’Eustazio dans Rinaldo, accompagné par The English Concert), sa prestation ne s’est pas révélée ce soir comme étant des plus marquantes. Les aigus lui échappent souvent, les fins de phrases étant ainsi artificiellement forcées alors que, sous d’autres gosiers pourrait-on dire, le chant se combine avec une meilleure maîtrise de la puissance vocale. Le mérite d’Orlinski consiste néanmoins à assez bien caractériser ses personnages: chez lui, la douleur de Tolomeo n’a fort heureusement rien à voir avec la douceur d’Ottone. Le chant est beau, les traits parfois légèrement appuyés mais on en ressort avec une bien meilleure impression que celle laissée dans Vivaldi.


Comme souvent dans ce type de récital, les airs alternent avec des pages musicales qui, ce soir, mettaient en vedette l’incroyable Dmitry Sinkovsky. On a déjà eu l’opportunité de saluer ses prestations vivaldiennes (voir ici et ici) dans le cadre de l’intégrale éditée chez Naïve. Point de Prêtre roux ce soir mais Telemann tout d’abord. Sinkovsky dirige ses acolytes d’un archet de fer, ne cessant de les relancer, de les dompter soit pour les faire accélérer, soit pour les réfréner, inspirant presque une sorte de crainte chez les deux autres violonistes. Le résultat est très réussi avec un Adagio de toute beauté, merveille de finesse et de poésie, Sinkovsky se jouant des aspérités techniques de l’Allegro conclusif avec une déconcertante facilité. En revanche, quelle déception pour ce concerto de Jean-Marie Leclair, tiré de l’Opus 7, où Sinkovsky retombe dans des travers que nous avions soulignés dans son enregistrement des Quatre Saisons: la volonté à tout crin de privilégier le jeu technique sur la stricte musicalité a transformé ce concerto en une démonstration, agrémentée de multiples défauts (une justesse plus qu’aléatoire, quelques passages plus que «savonnés», des glissandi d’un goût parfois douteux, notamment dans le redoutable Allegro non troppo), qui souleva certes l’enthousiasme du public mais qui pouvait tout de même laisser circonspect... Pour qui souhaite écouter un Leclair certes plus sage mais mieux interprété, on renverra vers le très beau disque de Luis Otavio Santos qui a enregistré l’intégralité de ce bel Opus 7.


Ovationné par le public, Jakub Józef Orlinski offrit deux bis: l’air célèbre «Vedro con mio diletto» tiré d’Il Giustino de Vivaldi et, Sinkovsky chantant pour l’occasion avec lui (car, en plus d’être violoniste, celui-ci est également contre-ténor), le célébrissime duo «Son nata a lagrimar» tiré de Giulio Cesare de Händel. Un final assez larmoyant, excessif dans ses sentiments: de quoi finalement être échaudé par ces deux tornades venues du froid...


Le site de Jakub Józef Orliński
Le site de Dmitry Sinkovsky
Le site de l’ensemble Il Pomo d’Oro



Sébastien Gauthier

 

 

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