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Hommage à Jean Deplace Strasbourg Cité de la Musique et de la Danse 12/03/2017 - Pablo Casals : Le Chant des oiseaux
Jean-Sébastien Bach : Suite pour violoncelle n° 6, BWV 1012: Sarabande et Gavottes
André Jolivet : Suite en concert pour violoncelle seul
Pierre Strauch : Exergue, pour violoncelle seul
Giuseppe Verdi : Don Carlo: air de Philippe II (transcription pour violoncelles par Roland Pidoux)
Gioacchino Rossini : Guillaume Tell: Ouverture
Max Bruch : Kol Nidrei, opus 47
Gabriel Fauré : Elégie, pour violoncelle et orchestre, opus 24 Emmanuelle Bertrand, Pierre Strauch, Marc Coppey (violoncelle), Elèves et étudiants violoncellistes de Strasbourg
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Theodor Guschlbauer (direction)
Jean Deplace, ce fut surtout pour nous, auditeurs de longue date de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, une silhouette familière d’une rondeur rassurante, assise au premier rang des violoncelles. Et puis ce regard qui balayait les travées de la salle en attendant l’arrivée du chef, avec une sorte de distance vaguement lasse ou amusée, assurément énigmatique. Et ce sont aussi des souvenirs musicaux précis : évidemment l’Andante du Second Concerto pour piano de Brahms, le Don Quichotte de Strauss, ou encore des Schumann chambristes de toute beauté, où s’élevait tout à coup un chant de violoncelle intense mais auréolé d’une pudeur insaisissable, comme si trop de beauté ne devait jamais exister sans un rien de distance, de fragilité humaine.
Longue carrière de supersoliste à l’orchestre, départ en retraite, et puis cette douloureuse fin prématurée, passée relativement inaperçue il y a exactement deux ans. D’où l’idée de ce concert d’hommage, avec maintenant un peu plus de recul dans le temps, projet assurément fédérateur, dans un Auditorium de la Cité de la musique complètement rempli pour la circonstance.
Car Jean Deplace, et cet aspect-là nous échappait davantage en tant que spectateurs, était aussi un pédagogue engagé, qui a formé toute une génération de jeunes violoncellistes, essentiellement à Strasbourg et à Lyon. Une activité d’enseignement d’une générosité particulière, racontée au début de cet hommage par Mihály Temeshváry, et qui a manifestement marqué tous ces élèves, devenus depuis pour certains de grands noms du violoncelle français. Tout ceci donne aussi à cette réunion d’anciens élèves, condisciples et famille, une densité de tous les instants.
Jean Deplace était un disciple de Maurice Maréchal et a sans doute transmis à ses propres élèves quelque chose de ce lignage, fait de technique française mais aussi d’humanisme. Maréchal fut confronté aux années sombres du premier conflit mondial, pendant lesquelles on lui fabriqua au front un violoncelle de fortune, à partir de morceaux de bois arrachés à des caisses de munitions. Ce modèle inédit, baptisé « Le Poilu », primitif et anguleux mais néanmoins instrument complet, a été conservé, bien qu’il soit aujourd’hui trop fragilisé pour être encore transportable et jouable. C’est avec une copie, réalisée par un luthier moderne, instrument étrange posé sur une pique de bois, violoncelle qui semble revisité par une stylisation cubiste, qu’Emmanuelle Bertrand ouvre le concert, dans Le Chant des oiseaux de Pablo Casals. Le son, d’une relative puissance, n’a rien d’incongru : un véritable outil de travail. Et puis rendre aujourd’hui sa voix au « Poilu », donne à la musique d’un compositeur au destin lui aussi très marqué par l’histoire, une signification symbolique saisissante.
Deux représentants du « violoncelle strasbourgeois » ensuite. Pierre Strauch a suivi une trajectoire très marquée par la création contemporaine, et ose ici la longue et dense Suite en concert de Jolivet, musique d’une flamme incantatoire pas forcément facile à réveiller, que le public accueille avec un remarquable effort de concentration silencieuse. Plus tard dans le programme lui succède Marc Coppey, dans un Kol Nidrei de Bruch joué à bon escient comme une prière, d’un archet délié qui réveille les sonorités d’un instrument magnifique sans jamais vouloir trop souligner ni peser, ce qui renforce encore l’émotion du moment.
Le Conservatoire de Strasbourg délègue ses grands élèves pour une transcription à plusieurs voix d’extraits de la Sixième Suite de Bach. Quant aux violoncelles de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, ils se confrontent au difficile exercice de la transcription par Roland Pidoux de l’air de Philippe II du Don Carlo de Verdi. Le chant passe d’un pupitre à l’autre, de même que les principaux détails d’orchestration, ce qui oblige les interprètes à plonger souvent vers une tessiture aiguë inconfortable. Un très beau travail, où le traditionnel solo échoit à Alexander Somov, qui a succédé à Jean Deplace au poste de premier violoncelle à Strasbourg. Emmanuelle Bertrand se joint au groupe, peut-être pour pallier la malheureuse défection pour raison de santé de Véronique Fuchs, autre élève de Jean Deplace et qui a été pour beaucoup dans l’organisation de ce concert.
Autres aspects encore : l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, très bien coordonnée, sans clinquant ni précipitation, par Theodor Guschlbauer. Là encore l’introduction aux violoncelles évoque bien des émotions passées. Quelques photographies bien choisies aussi, qui défilent sur un écran de projection derrière les musiciens, ou encore la diffusion d’un enregistrement de Jean Deplace accompagné par son épouse Andrée Plaine : l’une des Fantasiestücke de Schumann.
Emmanuelle Bertrand se charge de conclure avec une Elégie de Fauré subtilement accompagnée par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, toujours en formation relativement réduite. Là encore une vision ferme mais sans emphase, dont l’intensité posée se suffit à elle-même. Pour cet hommage une terminaison apaisée. Aucun bis ensuite, ce qui va de soi dans un tel contexte.
Laurent Barthel
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