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Une évidente alchimie Paris Maison de la radio 12/14/2017 - Johann Sebastian Bach : Weihnachts-Oratorium, BWV 248: Cantates I «Jauchzet, frohlocket», II «Und es waren Hirten in derselben Gegend» et III «Herrscher des Himmels, erhöre das Lallen» – Concerto brandebourgeois n° 3 en sol majeur, BWV 1048 Núria Rial (soprano), Ann Hallenberg (mezzo-soprano), Mauro Peter (ténor), Andrè Schuen (baryton)
Chœur de Radio France, Edward Caswell (chef de chœur), Orchestre national de France, Trevor Pinnock (direction)
T. Pinnock (© Matthias von der Tann)
La saison 2017-2018 de l’Orchestre national de France est des plus alléchantes: avouons que, parmi d’autres, ce concert était attendu, comme en témoignait ce soir une effervescence peu commune, le public se pressant dans la salle de l’Auditorium qui affichait complet. Car, depuis que Nikolaus Harnoncourt a commencé à diriger l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam dans les symphonies de Mozart (en l’occurrence, ce premier disque était consacré aux Trente-quatrième et Trente-cinquième, la célèbre Haffner, en 1981), le fait que les phalanges «modernes» soient cinduites par des chefs «baroques» est devenu chose commune. Philippe Herreweghe a dirigé Bach à la tête des orchestres de Vienne et d’Amsterdam, John Eliot Gardiner a dirigé les orchestres de Londres et de Berlin sans oublier le National justement, Ton Koopman dirige ce mois-ci encore le Philharmonique de Munich dans la Messe en si...
Pour beaucoup d’entre nous, Trevor Pinnock, c’est le claveciniste mais surtout le chef de l’English Concert, merveilleux ensemble, à la tête duquel il a gravé pour Archiv Produktion des références composées par Bach, Händel, Fasch ou Vivaldi. Mais il dirige également depuis plusieurs années des orchestres «traditionnels», qu’il s’agisse de la Philharmonie de Brême ou de Berlin. Ce soir, première expérience à la tête de l’Orchestre national de France, qui jouait pour l’occasion un programme entièrement dédié à Bach avec les trois premières cantates de l’Oratorio de Noël (1734-1735) et le Troisième Concerto brandebourgeois (1721). Commençons par ce dernier, d’ailleurs: Pinnock dirigea du clavecin neuf musiciens (trois violons, trois altos et trois violoncelles) parmi lesquels Sarah Nemtanu et Florence Binder, respectivement premier violon solo et cheffe d’attaque des seconds violons, et Sabine Toutain, premier alto solo: le résultat, comme le prouvèrent les deux rappels du public, fut enthousiasmant! Certes, les sonorités sont plus «classiques» que «baroques» mais comment en irait-il autrement vu la facture des instruments? On décèle certes là encore, ici ou là, quelque vibrato mais est-ce gênant surtout quand, et c’est là l’essentiel, l’esprit est totalement présent? Car les archets bondissent, la polyphonie s’exprime pleinement, la joie des dix musiciens de jouer ce répertoire est évidente, la fugue du troisième mouvement est idéale, chacun tour à tour prend les rênes de la mélodie et assure son solo avec une égale réussite: vite, à quand l’intégrale des Brandebourgeois par les mêmes?
Avec trois des six cantates composant l’Oratorio de Noël, Trevor Pinnock faisait entrer l’œuvre au répertoire du National, peu habitué aux incursions dans la musique baroque. Et là aussi, le résultat fut non pas seulement convaincant mais bien davantage: réjouissant. Réjouissant car, comme on l’a noté dans le Troisième Brandebourgeois, les musiciens prennent plaisir à interpréter ce répertoire: les trois trompettes brillent avec éclat, les hautbois, flûtes et cor anglais adoptent à chaque instant le juste phrasé, Sarah Nemtanu joue ses parties solistes avec esprit, les cordes suivent avec application (quitte, parfois, à trop insister sur l’articulation), Raphaël Perraud assure parfaitement la partie de basse continue... L’orchestre, aux dimensions modestes ce soir, se fond avec soin dans l’ensemble, soutenant un très bon Chœur de Radio France même si les voix féminines manquèrent parfois d’ampleur et se révélèrent donc un tant soit peu aigrelettes.
Côté solistes, on n’étonnera guère en écrivant qu’Ann Hallenberg aura dominé le quatuor d’une large tête grâce à une voix opulente mais tellement maîtrisée grâce à un sens de la respiration, une musicalité et une diction en tous points idoines: son air «Schlafe, mein Liebster, geniesse der Ruh» fut un des plus beaux moments du concert. Excellente basse, il est dommage qu’Andrè Schuen ait été légèrement couvert par la trompette dans son très beau «Grosser Herr, o starker König», son implication ayant été sans faille. Si Mauro Peter assure avec professionnalisme sa partie, on aura été moins impressionné par Núria Rial, dont la voix s’avère parfois un peu dure, sa participation étant en outre assez limitée dans ces trois cantates.
Quant à Trevor Pinnock, en dépit des années – on a bien failli fêter ce soir ses soixante-et-onze ans puisqu’il est né le 16 décembre 1946!) – il témoigne d’un enthousiasme de chaque instant qui galvanise ses troupes. Assurant tout au long du concert la partie de clavecin, dirigeant avec une grande précision (les départs, les fins de phrases ou de mouvements...), il obtient du National des sonorités que l’on n’avait jamais entendues à ce jour, orchestre avec lequel la complicité est évidente. Pari osé pensaient peut-être certains que cette alliance entre un chef baroqueux anglais et un orchestre symphonique français: pari tenu et ô combien réussi!
Le site de Trevor Pinnock
Le site de Mauro Peter
Le site d’Andrè Schuen
Sébastien Gauthier
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