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Le continent Hugues Dufourt

Paris
Centre Pompidou & CRR
11/13/2017 -  et 14* novembre 2017

13 novembre, Centre Pompidou (Grande salle)
Hugues Dufourt : Les Continents d’après Tiepolo
Ensemble Recherche


14 novembre, Conservatoire à rayonnement régional – Grand Auditorium
Hugues Dufourt : Burning Bright
Les Percussions de Strasbourg


H. Dufourt (© Marion Kalter)


Les hasards du calendrier mettent à l’honneur l’un des maîtres du courant spectral à travers deux œuvres majeures.


Donnés dans le cadre du Festival d’Automne, Les Cinq Continents (2004-2016) témoignent, seize ans après le cycle des Hivers, de l’intérêt d’Hugues Dufourt (né en 1943) pour la peinture. A Poussin, Rembrandt, Brueghel et Guardi se substitue l’un des maîtres de l’Ecole vénitienne, Tiepolo, par le truchement des fresques monumentales qu’il peignit pour la Résidence de Wurtzbourg. L’orchestre, quant à lui, laisse ici la place à un ensemble de huit musiciens. Comment donner à entendre cette «sonorité intérieure» que le compositeur dit percevoir dans une peinture?


Au moyen d’une écriture procédant par touches, où les jeux de timbres (leurs tuilages, compénétrations ou oppositions) suggèrent aussi bien la variété de la palette que l’espace de la toile. Là n’est pas le moindre mérite d’Hugues Dufourt que d’évoquer («incanter», dirait Apollinaire) une telle gamme d’émotions avec seulement huit instrumentistes, même si une grande variété de vents est utilisée (flûte alto, clarinettes basse et contrebasse, cor anglais...) et si le percussionniste actionne tout un arsenal de peaux et de claviers. Parmi les paramètres du son, le rythme est en retrait par rapport à l’intensité, la vélocité et les oppositions de registres. Pour employer l’oxymore consacré, Dufourt instaure de la variété dans l’uniformité: ainsi de l’alternance entre passages contemplatifs – émaillés de cadences pour un ou deux instruments – et passages constitués d’une forte densité d’informations, parfois proche de la saturation. Si surprenant que cela puisse paraître s’agissant d’un des plus grands coloristes de l’histoire de l’art, c’est même l’idée du camaïeu qui domine Asie. Fin observateur de son œuvre, Dufourt déclare: «Je considère l’Asie de Tiepolo comme une sorte de manifeste anticipé de notre temps: un monde privé de couleurs, qui tourne au brun et au gris, et néanmoins dominé par une forme d’accélération expressive. Tiepolo a écrit là une sorte d’art poétique de l’avenir.»


Bien que l’on puisse observer (absence de chef oblige) ici un léger décalage dans les attaques, ailleurs une balance qui favorise davantage la percussion aux dépens des cordes, l’interprétation de l’Ensemble Recherche dénote une connaissance approfondie de l’univers sonore du compositeur.


Presque quarante ans après Erewhon créé en 1977 sous la direction du jeune Giuseppe Sinopoli – l’une des œuvres pour percussions les plus significatives du courant spectral aux côtés du Noir de l’étoile (1990) de Gérard Grisey –, les Percussions de Strasbourg donnaient Burning Bright en ouverture du Festival Musica 2014 (enregistré depuis sous leur propre label). D’une durée semblable, cette dernière œuvre, conçue d’un seul tenant, évite les mouvements contrastés et s’éploie «tel un immense adagio à la manière de Bruckner», dixit le compositeur. Les métaphores géologiques viennent spontanément à l’esprit pour qualifier cette musique faite de stratifications de différentes couches et nappes.


A l’unité de la forme répond celle de l’effectif (particulièrement riche en métaux) actionné par un monstre à douze bras que sont les six musiciens des Percussions de Strasbourg. On mesure l’évolution du répertoire depuis Pléiades (1979) de Iannis Xenakis, sagement segmenté en «Mélanges», «Métaux», «Claviers», «Peaux»: Burning Bright, à l’image du poème Le Tigre de William Blake qui lui donne son nom, «mobilise les énergies premières [...] une forme donc qui s’engendre...»... Comme dans le cycle des Continents, la dimension rythmique et proprement percussive est escamotée au profit d’une dynamique organique gouvernée par le transitoire, le flux et le reflux; Hugues Dufourt, ou le compositeur du jusant.



Jérémie Bigorie

 

 

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