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Somptueuse tempête sur le Requiem

München
Herkulessaal
11/01/2017 -  et 2 (München), 4 (Köln) novembre 2017
Giuseppe Verdi : Messa da Requiem
Krassimira Stoyanova (soprano), Anita Rachvelishvili (mezzo-soprano), Francesco Meli (ténor), Riccardo Zanellato (basse)
Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Riccardo Muti (direction)


R. Muti (© Silvia Lelli)


Projet longuement discuté, la nouvelle Philharmonie de Munich semble désormais sur les rails. Le concours d’architecture vient d’être remporté par une firme autrichienne, basée à Bregenz, et une friche industrielle située près de l’Ostbahnhof est en cours de dégagement en vue d’accueillir cet édifice très haut, qui devrait ressembler en principe à une sorte de long moule à gâteau en verre transparent. Mais de là à laisser entrevoir une date pour le concert inaugural, il y a encore une béance colossale, surtout quand on connaît la propension allemande à faire durer bien plus longtemps que prévu la réalisation de ce genre de projet.


En attendant, c’est dans la bien peu fonctionnelle Herkulessaal de la Résidence, froide architecture néoclassique des années cinquante du siècle dernier, que se réfugient ce soir les forces de la Radio bavaroise au grand complet, pour un Requiem de Verdi de prestige. Le cadre est vieillot mais l’acoustique est bonne (bien meilleure que dans la plus moderne Philharmonie du Gasteig), au point d’ailleurs que chaque toux du public s’entend monstrueusement. Riccardo Muti, 76 ans, prestance et morgue italiennes des grands soirs, fait la grimace quand un premier raclement de larynx tombe pile sur l’attaque con sordino des violoncelles, charnue, suave, absolument double piano, comme écrit sur la partition. Mais à la deuxième expectoration râpeuse, deux mesures plus loin, c’en est trop : le maestro ne surmonte plus son agacement et arrête l’orchestre d’un geste sec ! Surprise des musiciens, vite suivie d’une salve d’applaudissements à laquelle on se joint volontiers. Au moins les horripilants bronchitiques nerveux auront-ils compris la réprimande : la suite du concert peut se dérouler dans un silence religieux.


Religion, le mot est lancé, évidemment sujet à de longs débats s’agissant du Requiem de Verdi, ouvrage dont il vaut mieux accepter d’emblée la religiosité torrentielle, fortement extériorisée. Car on se demande vraiment au nom de quelle tartufferie frileuse il faudrait brider de tels élans. Il suffit d’écouter l’emphase et la vigueur d’une assemblée en train de chanter dans une paroisse catholique italienne pour comprendre que là bas tout le monde trouverait absurde d’exprimer sa foi juste du bout des lèvres. Musicien distingué, Muti a compris depuis longtemps que dans ce Requiem rien ne sert de s’embarrasser de précautions, voire qu’il faut au contraire y jouer la carte d’un opéra démesuré, qui se hausse à une évidente dimension spirituelle aussi parce qu’il confronte à l’absolu nos aspects les plus délibérément humains voire charnels.


Dans l’acoustique immédiate de la salle on a vite l’impression d’être immergé dans un gigantesque chaudron d’émotions, comme si on se retrouvait soudain placé devant les fresques de la Chapelle Sixtine, mais au plus près, devant des personnages de plusieurs mètres de haut. Seule condition pour un projet aussi ambitieux : éviter tout débraillé, mais avec un orchestre et des voix de cette classe, il n’y a aucun risque. La fermeté de tous les pupitres du Chœur de la Radio bavaroise est légendaire, et ici l’homogénéité du résultat, ainsi même que la qualité de la diction latine, sont miraculeux. De même pour l’Orchestre de la Radio bavaroise, fantastique machine à bien jouer, dont Muti actionne les rouages avec une impressionnante autorité. Une direction économe mais qui sait toujours se faire comprendre. Si l’on connaît soi-même plutôt bien la partition, il est fascinant de pouvoir clairement déchiffrer l’intention de chaque geste, et d’observer immédiatement dans l’orchestre l’immense grande lame de fond ou au contraire le petit détail crucial attendus. Inutile de préciser que l’âge de la maturité venu, Muti n’a jamais fait aussi bien dans ce Requiem, dont il nous restitue les proportions avec un art d’architecte suprême. Simplement, après une telle leçon, il va devenir bien difficile d’en écouter d’autres.


Il est vrai aussi que Muti n’a jamais disposé d’un quatuor de solistes d’une telle envergure. La mezzo-soprano lettone Elīna Garanca annule quelques jours avant le concert ? Qu’à cela ne tienne, Munich est une métropole musicale qui n’est jamais à cours de ressources, et il suffit de solliciter Anita Rachvelishvili, qui sort juste d’une reprise de Carmen à l’opéra voisin. Pour un remplacement de dernière minute la pioche est excellente : le format vocal de la mezzo-soprano géorgienne est toujours aussi monumental. Beaucoup de nuances (le maestro, juste à côté d’elle, y veille avec son autorité coutumière), mais quand la voix se déploie vraiment (Liber scriptus), on se retrouve rien moins que devant une Sibylle de Michel-Ange. Du coup Krassimira Stoyanova, excellent soprano spinto, se retrouve un peu marginalisée, avec de surcroît quelques petits problèmes d’échauffement qui l’obligent à tuber le son. Mais elle peut prendre sa revanche dans un Libera me scrupuleusement contrôlé, d’un bel impact final. A la droite du chef, Francesco Meli doit souvent brider ses moyens de ténor méridional trompettant, au risque de détimbrer des nuances piano que cependant il obtient, quitte à se mettre parfois en danger (un Hostias recueilli mais perceptiblement fragile). Et, s’il n’a pas pas les graves caverneux d’une basse russe, Riccardo Zanellato complète très heureusement ce quatuor, bien assorti surtout grâce à Riccardo Muti, qui n’a pas son pareil pour stimuler des chanteurs et les aider à trouver le meilleur de leur potentiel, grâce à des conseils avisés.


Rien d’étonnant à ce que les 90 minutes de ce Requiem paraissent dès lors à la fois suspendre le temps et passer comme un rêve (ce n’est après tout pas davantage en durée que quelques tableaux d’Aïda réunis, mais avec une densité encore toute différente). On en sort presque épuisé par tant de fastes et de savoir-faire, mais l’expérience est unique.



Laurent Barthel

 

 

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