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Così fan tutte ou la géométrie de l’amour Paris Palais Garnier 09/12/2017 - et 16, 18, 20, 25, 28, 30 septembre, 3, 5, 8, 10, 14, 17, 21 octobre 2017 Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, K. 588 Jacquelyn Wagner/Ida Falk-Winland* (Fiordiligi), Michèle Losier/Stephanie Lauricella* (Dorabella), Cyrille Dubois (Ferrando), Philippe Sly/Edwin Crossley-Mercer* (Guglielmo), Paulo Szot/Simone Del Savio* (Don Alfonso), Ginger Costa-Jackson/Maria Celeng* (Despina), danseurs de la Compagnie Rosas: Cynthia Loemij (Fiordiligi), Samantha van Wissen (Dorabella), Michael Pomero (Guglielmo), Julien Monty (Ferrando), Yuika Hashimoto (Despina), Bostjan Antoncic (Don Alfonso)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan*/Marius Stieghorst (direction musicale)
Anne Teresa De Keersmaeker (mise en scène et chorégraphie), Jan Versweyveld (décors et lumières), An D’Huys (costumes), Jan Vandenhouwe (dramaturgie)
(© Christophe Pelé/Opéra national de Paris)
Reprise d’un spectacle créé l’hiver dernier, ce Così fan tutte mis en scène par Anne Teresa De Keersmaeker laisse difficilement insensible. Le tourbillon des désirs y est dansé tout autant que chanté, et l’intrigue dramatique cède le pas au symbolisme de la chorégraphie. La partition de Mozart est comme mise en mouvement dans une ronde enivrante – et non dénuée d’humour – d’inflexions corporelles qui mettent la ligne de chant au service de l’image. Le livret y perd en densité – les passages à vide n’étant pas rares – mais y gagne paradoxalement en «musicalité». Comme si les notes s’échappaient du carcan de leur signification littérale pour envelopper le corps des chanteurs (davantage que celui des danseurs de la Compagnie Rosas, parfois réduits à des doublures inutiles) d’une intensité et d’une grâce déconcertantes – dans une géométrie de l’amour en définitive convaincante. Car c’est le mérite premier du spectacle d’Anne Teresa De Keersmaeker: il surprend en donnant l’illusion que Mozart peut aussi se danser.
Philippe Jordan conduit les musiciens de la Grande Boutique avec beaucoup de métier. Assise sur une battue pressée mais à la rythmique idéale pour le chant, sa direction d’orchestre – spécialement vive et tranchante – suit les battements du corps davantage que ceux du cœur, à l’unisson d’une distribution – qui présente la même alternance de deux chanteurs pour chaque rôle qu’en janvier dernier (Cyrille Dubois se glissant seul, pour cette reprise, dans le costume de Ferrando) – d’une indéniable cohérence. Les ensembles vocaux sont conduits avec fraîcheur et élégance, finesse et équilibre. Et la maîtrise chorégraphique des interprètes contribue à donner le sentiment que le spectacle est désormais rodé.
La revue de détail fait néanmoins apparaître davantage d’imperfections. La Fiordiligi d’Ida Falk-Winland – aux aigus finement cristallins – souffre beaucoup dans le grave. Le «Come scoglio immoto resta» y perd en puissance, malgré un médium intimidant. Le rondo du «Per pietà, ben moi, perdona all’error di un’alma amante» manque de fragilité et présente des graves défaillants. Mais le rôle est tenu et l’incarnation scénique se révèle irréprochable – si complémentaire de la Dorabella de Stephanie Lauricella, au bel alliage de charme, de puissance et d’assurance (triomphant dans l’air «E amore un ladroncello» grâce à la justesse du timbre et du rythme).
Par son engagement sur scène, son physique sculptural et son charisme vocal (malgré un timbre un peu opaque), Edwin Crossley-Mercer en impose en Guglielmo – spécialement par la véhémence de «Donne mie, la fate a tanti». A l’inverse du Ferrando trop faiblard de Cyrille Dubois. La justesse d’«Un aura amorosa» ne parvient pas à compenser des aigus étriqués et un souffle exsangue, le ténor français convainquant davantage dans la sobriété d’«Ah, lo veggio, quell’animabella» (qui manque pourtant de relief) et dans la dignité de sa seconde tentative pour séduire Fiordiligi.
On préférera enfin le Don Alfonso, superbement viril et idiomatique, de Simone Del Savio – idéal d’emphase et de justesse dans «Tutti accusan le donne, ed io le scuso» – à la Despina au timbre nasal et sec de Maria Celeng, presque agressive. Mais la caractérisation du rôle – celle d’une mégère sévère et pincée – demeure réussie, l’interprète brillant par son mordant dans «Una donna a quindici anni» où elle parvient à rendre crédible l’identité vocale de son personnage.
Cette soirée de «première» avait débuté par un hommage de Stéphane Lissner au président d’honneur de l’Opéra national de Paris, Pierre Bergé (1930-2017), auquel est dédiée cette série de représentations qui s’achèvera le 21 octobre.
Gilles d’Heyres
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