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La virtuosité pour seul horizon

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Peralada (Eglise du Carme)
08/05/2017 -  
Antonio Vivaldi : Griselda, RV 718: «Agitata da due venti»
Georg Friedrich Händel : Saeviat tellus inter rigores, HWV 240: «Carmelitarum ut confirmet ordinem... O nox dulcis»
Johann Sebastian Bach: Partita pour clavier n° 2, BWV 826: Sinfonia
Nicola Porpora : In caelo stelle: «Exulta, exulta o cor... Care deus cordis amantis»
Wolfgang Amadeus Mozart : Exsultate, jubilate, K. 158a [165]: «Tu virginum, corona... Alleluia»
Gioachino Rossini : La regata veneziana – La donna del lago: «Tanti affetti»
Franz Schubert : Impromptu en sol bémol, opus 90/D. 899 n° 3 – Nacht und Träume, D. 827 – Die junge Nonne, D. 828 – Im Frühling, D. 882

Julia Lezhneva (soprano), Mikhail Antonenko (piano)


J. Lezhneva (© Joan Castro/Iconna)


Situé à quelques dix minutes en voiture de Figueres, le village de Peralada attire chaque année de nombreux touristes charmés par la rénovation parfaite des vieilles bâtisses de son centre médiéval, tout autant que le parc splendide autour de son «château». Il s’agit en réalité d’un ancien couvent réhabilité par son riche propriétaire au siècle dernier, avant que l’implantation voisine d’un casino n’attire une clientèle fortunée dans ces lieux d’exception. Le festival de Peralada s’y épanouit chaque année depuis trente-et-un ans autour d’une programmation éclectique, astucieusement centrée pendant plusieurs jours sur la musique classique. C’est aujourd’hui l’un des rares festivals espagnols capable d’attirer des noms aussi prestigieux que ceux de Jonas Kaufmann, Klaus Florian Vogt en 2015 ou encore Bryan Hymel en 2016.


L’affiche proposée cet été ne fait pas exception avec les récitals de Pretty Yende, Julia Lezhneva et Gregory Kunde, tandis que Bryan Hymel fait son retour avec rien moins qu’Ermonela Jaho dans une Butterfly très attendue en version scénique. Le premier coup de cœur du festival vient avec la découverte de la splendide église du Carme, qui semble avoir été construite tout récemment tant son état général harmonieux respire le neuf: il s’agit pourtant d’un bâtiment du XIVe siècle, rénové au XIXe, dont on admirera particulièrement le plafond à caissons de style gothique-mauresque. Les récitals prennent place traditionnellement dans cet écrin à l’acoustique correcte sans être exceptionnelle: il faudra privilégier un placement au plus près des interprètes pour éviter le déséquilibre entre voix et piano – ce dernier manquant de détails.


Cet écueil est particulièrement audible dans le récital de Julia Lezhneva (née en 1989), où l’accompagnement de Mikhail Antonenko manque souvent de vigueur pour donner le change à sa compatriote. Le pianiste fait pourtant étalage d’une véritable sensibilité dans ses passages solos, que ce soient dans son Schubert félin, vif et racé, ou dans la Sinfonia de Bach au touché léger et sautillant. Plus en retrait dans l’accompagnement, il laisse à Lezhneva la possibilité d’exprimer tout l’éclat de sa virtuosité, de la souplesse des transitions entre les registres aux vocalises rapidissimes, sans parler des nuances pianissimo admirablement maîtrisées. On s’en tiendra cependant à un seul plaisir vocal tant la soprano russe semble n’avoir que faire du texte, sans parler des problèmes de style dans les répertoires baroque et classique. Ses Vivaldi et Händel déçoivent ainsi par leurs attaques molles, tandis que son Porpora élégant se tourne vers un romantisme anachronique. Son Mozart, quant à lui, manque d’agilité dans les accélérations pour se réfugier dans un tempo lent au sentimentalisme guimauve.


Après l’entracte, les phrasés introspectifs des lieder de Schubert lui conviennent mieux, tant la voix a le temps de s’épanouir des tréfonds pour parvenir à l’intensité du timbre tenu. Son interprétation de Rossini se montre plus discutable, inégale dans La regata veneziana et au tempo trop marmoréen dans son air de La Dame du lac, même si elle fait la preuve d’une puissance peu commune pour un aussi petit bout de femme. En bis, Lezhneva interprète un air extrait de son dernier disque, dédié à Carl Heinrich Graun, puis un Alleluia de Porpora et Les Marguerites de Rachmaninov. Si une grande partie du public, manifestement conquis par sa virtuosité, lui réserve des applaudissements chaleureux, on ne pourra s’empêcher de regretter le peu de place accordé au sens, indispensable pour aller au-delà du seul étalage d’une technique vocale, aussi brillante soit-elle.



Florent Coudeyrat

 

 

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