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La sérénité d’un grand maître

Baden-Baden
Festspielhaus
06/01/2017 -  
Johann Sebastian Bach : Caprice sur le départ de mon frère bien aimé, BWV 992 – Quatre Duos du Clavierübung, BWV 802 à 805
Béla Bartók : Mikrokosmos, livre VI, Sz. 107: Six Danses sur des rythmes bulgares – Sonate, Sz. 80
Leos Janácek : Dans les brumes
Robert Schumann : Fantaisie en ut majeur, opus 17

András Schiff (piano)


A. Schiff (© Michael Gregonowitz)


Magnifique programme, dont on espère simplement que ce n’est pas l’originalité qui a occasionné une relative mévente. Qu’on ne se dérange pas davantage pour l’un des plus grands pianistes actuels relève-t-il d’une certaine paresse d’esprit régionale ? Ou ne s’agirait-il pas aussi, car il faudra bien qu’on finisse par se poser ce genre de question, d’une nette carence en communication? Coller quelques affiches au look un peu triste sur place à Baden-Baden, c’est bien, mais s’assurer d’un peu plus de visibilité dans des métropoles régionales voisines de la taille de Karlsruhe, Stuttgart ou Strasbourg, ce serait certainement beaucoup mieux...


L’ambiance est donc intimiste. Mais finalement propice au climat que tente d’instaurer András Schiff, davantage celui d’un « concert-lecture » que d’un banal récital. Le programme de la soirée correspond d’ailleurs exactement à l’un des trois volets de l’« András Schiff Projekt » du prochain Festival de Salzbourg, centré sur quatre compositeurs qui tiennent particulièrement à cœur au pianiste hongrois : Bach, Schumann, Bartók et Janácek. D’un siècle à l’autre, certains liens de parenté dans l’état d’esprit et l’écriture interpellent particulièrement, ce que Schiff explicite au début de chacune des deux parties du concert, en analysant chaque pièce de façon relativement détaillée, exemples musicaux joués au clavier à l’appui. L’orateur s’exprime d’une voix douce mais déterminée, dans un allemand d’une fluidité remarquable, discours constamment passionnant, à la fois accessible, concis, mais aussi remarquablement informatif. L’anecdote du Caprice sur le départ de mon frère bien aimé est détaillée avec force images amusantes, mais Bartók fait aussi l’objet de quelques affirmations très sérieuses et argumentées (en particulier sur le caractère non percussif et violent de cette musique, jouée souvent, et sans fondement, de façon trop brutale). La Fantaisie de Schumann nous vaut aussi un passionnant récit de la découverte dans une bibliothèque de Budapest d’un premier jet des dernières mesures, moment de poésie très différent de la concision finalement choisie dans la version définitive, ce dont le pianiste nous fait juger sur pièces.


La requête, réitérée à la fin de chacune de ces deux petites conférences, de pouvoir enchaîner toutes les pièces sans applaudissements, est scrupuleusement respectée par un public motivé et silencieux. La promenade sans transition entre le Bach des quatre Duos du Clavierübung et les Danses bulgares du Mikrokosmos puis la Sonate de Bartók (d’une modernité que l’on a pu juger revêche sous d’autres doigts, alors qu’ici elle paraît d’une fluidité évidente), s’avère riche à la fois en contrastes et en pertinentes parentés. De toute façon, ce qui frappe partout, c’est la prodigieuse hauteur de vue d’une telle approche pianistique, qui semble faire fi de toute difficulté technique au profit de l’évidence. Résultat tout aussi convaincant dans des pages noircies d’accords complexes que dans la simplicité absolue de la mélodie accompagnée la plus rudimentaire (« Le Gai laboureur » de Schumann, donné en bis).


« Je trouve que les Danses bulgares de Bartók sont vraiment très compliquées à jouer, à moins que ce soit simplement qu’à mon âge tout devient compliqué... » nous déclare le pianiste. Belle démonstration d’ironie douce, tant tout ce que l’on entend ce soir paraît constamment parfait, dominé, intelligent, avec pour seul défaut, peut-être, cette apparente modestie d’artisan qui a pu desservir Schiff au cours de sa longue carrière. En tout cas rarement l’arborescente et parfois broussailleuse Fantaisie de Schumann nous aura paru aussi claire, aussi constamment pensée et logique d’un bout à l’autre, jusqu’à l’évanescence de cette conclusion inédite, où le poète parle sur le même ton apaisé qu’à la fin des Scènes d’enfants. Un récital fascinant à tous points de vue. Si d’aventure vous avez quelques jours de vacances un rien studieuses à occuper, on ne peut que vous recommander l’András Schiff Projekt, trois concerts au Mozarteum de Salzbourg entre le 27 juillet et le 2 août 2017 : un niveau festivalier exceptionnel y est garanti d’avance.



Laurent Barthel

 

 

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