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Panoramas alpins à tous les étages Strasbourg Palais de la Musique 05/04/2017 - et le 5 (Strasbourg), 6 (Luzerne) mai 2017 César Franck : Le Chasseur maudit
Franz Schubert : Symphonie n° 8 “Inachevée”, D. 759
Richard Strauss : Eine Alpensinfonie, opus 64
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Antoni Wit (direction)
A. Wit
Les “Symphonies en images” du photographe munichois Tobias Melle colonisent les salles de concert depuis quelques années déjà. Le principe en est simple : projeter au dessus d’un orchestre symphonique un diaporama ayant a priori un rapport avec l’ambiance de l’œuvre jouée. Donc par exemple des clichés d’Ecosse pour La Grotte de Fingal, des images d’Amérique du Nord pour la Symphonie du Nouveau Monde, etc. Le tout évidemment, puisque Tobias Melle est aussi un musicien doté d’une véritable expérience professionnelle, dynamisé par une certaine fluidité des fondus enchaînés ou des balayages, afin de tenter de rester cohérent avec le flux orchestral.
Apparemment les précédents sont concluants. En Allemagne de nombreuses expériences de “Symphonies en images” ont su séduire, y compris, et c’est sans doute l’un des buts recherchés, un public un peu plus large que celui des abonnés habituels des salles de concert. En revanche pour un mélomane habitué à goûter le spectacle intrinsèque d'un orchestre symphonique, on ne voit pas très bien ce que peuvent apporter, par exemple ce soir à la Symphonie alpestre de Richard Strauss, les clichés pris par Tobias Melle dans les Alpes bavaroises, si ce n’est un désagréable effet de parasitage. Certes ce qu’on voit est en phase : images d’aurore et de crépuscule aux deux bouts, forêts et cascades au milieu, glaciers tout en haut, sans parler des petites fleurs d’alpage en passant, et même, quand le percussionniste actionne des cloches de vache, des photos de bétail (!). Mais l’ensemble reste tellement convenu, attendu, et somme toute de petite envergure, qu’au lieu d’en paraître étendu, l’horizon du concert en semble plus étriqué, limité à un fond sonore pour diapositives de vacances. Sans parler des contingences techniques inhérentes à l’exercice : orchestre tassé en avant de l’écran, plongé dans une semi-pénombre, avec même une panne de courant électrique au début qui laisse les premiers violons s’écarquiller les yeux pendant cinq minutes sur des partitions plongées dans l’obscurité, pendant qu’un technicien rampe entre les pupitres pour tenter de rebrancher un câble mal fixé...
Donc, au bout d’un quart d’heure, on décide de ne plus regarder que le moins possible en haut, pour tenter de se concentrer davantage sur une exécution musicale passionnante, servie par un effectif très fourni. Dans un ouvrage de ce type c’est surtout l’impression d’ensemble qui compte, mais l’homogénéité du résultat paraît convaincante, même si les fortissimi tonitruants exigés par le chef poussent parfois les cordes aiguës à métalliser leur timbre et les cuivres à de rares peccadilles d’intonation, pas suffisamment noyées dans la masse pour ne pas introduire quelques aspérités désagréables. Antoni Wit est un orfèvre en matière de grands fresques orchestrales et cette exécution possède tout à la fois le format requis et une élégance qui préserve l’ensemble de trop de massivité. Reste que l’on peut tenter de trouver aussi dans cette symphonie illustrative davantage de distance, vision métaphorique d’une vie humaine, entre aube et crépuscule (écouter par exemple Herbert von Karajan...) alors qu’ici on en reste à se promener en chaussures de marche. Mais ce spectacle musical de la nature demeure magnifique, que ce soit avec, ou plus volontiers sans, les clichés de randonnée de Tobias Melle qui défilent par dessus.
Première partie conventionnelle avant l’entracte, donc sans images, mais déjà avec cet écran incommode qui impose une disposition d’orchestre inhabituelle. On y retient surtout une exécution pragmatique de la Symphonie inachevée de Schubert, lecture qui n’a manifestement pas pu faire l’objet d’un travail très approfondi mais qui s’impose par sa belle allure, un peu lente voire compassée, mais par là même d’une mélancolie attachante. Cette absence de complaisance aux détails, voire ce rien de lourdeur parfois, bien assumés, font penser à des visions furtwängleriennes d’une toute autre époque, ce qui n’est pas pour nous un mince compliment. En ouverture, Le Chasseur maudit de César Franck, poème symphonique devenu bien rare en concert, alors qu’il s’agit d’une belle pièce, mouvementée, élégamment écrite, et de dimensions suffisantes pour que l’auditeur ait le temps de bien s’y installer, en s’habituant aux méandres d’une écriture mélodique relativement accidentée. Début exposé pour les cors, qui se tirent honorablement de l’embûche, mais ce sont surtout les cordes, très homogènes, qui mènent l’ensemble au succès.
Laurent Barthel
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