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Promesses tenues

Baden-Baden
Festspielhaus
04/09/2017 -  et 22, 23 mars 2017 (Berlin)
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie n° 35 «Haffner» en ré majeur, K. 385
John Adams : The Wound-Dresser
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 6 «Pathétique», opus 74

Georg Nigl (baryton)
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)


K. Petrenko (© Monika Rittershaus)


En mai 2015, le choix du successeur de Simon Rattle n’a pas été facile, les 124 membres de l’Orchestre philharmonique de Berlin ne parvenant pas à se mettre d’accord sur un nom, même à l’issue d’une première journée de tractations particulièrement longue. Finalement la nouvelle ne devait tomber que six semaines plus tard, après une seconde réunion tenue secrète et d’une durée beaucoup plus courte : l’heureux élu s’appelle Kirill Petrenko, l’actuel directeur musical de l’Opéra de Munich.


Assurément un excellent choix, mais encore restait-il à s’en faire une idée plus précise, Petrenko n’ayant dirigé les Philharmoniker qu’à trois reprises avant d’être choisi, en 2006, 2009 et 2012. L’avenir berlinois du personnage, de surcroît d’un abord assez timide, et actuellement très majoritairement chef d’opéra, comportait en effet quelques zones d’ombre encore. Et Simon Rattle devant rester en poste toute la prochaine saison, c’est sur ce seul programme, donné deux fois à Berlin en mars et une seule fois ensuite au Festival de Pâques de Baden-Baden, que l’on pouvait compter pour lever un coin du voile sur l’avenir de l’orchestre. Ce qui explique vraisemblablement la vitesse record à laquelle toutes les places disponibles ont disparu des bureaux de location, et ce autant à Berlin qu’à Baden-Baden.


Un vrai succès de curiosité mais aussi, assurément, l’un des meilleurs concerts des Berliner Philharmoniker au Festival de Baden-Baden depuis 2013. L’arrivée de Petrenko non plus en fosse mais sur scène, toute petite silhouette calme qui gagne le podium d’un pas régulier et déterminé, est une image nouvelle à laquelle il va falloir maintenant s’habituer. Mais gageons qu’elle va très vite nous devenir indispensable, tant dès les toutes premières mesures le magnétisme extraordinaire de ce chef installe un climat particulier. Petrenko laisse l’orchestre attaquer mais la vitesse avec laquelle il récupère ensuite l’initiative est étonnante, grâce à une gestique qui ne laisse strictement aucune chance au hasard. Chaque segment de l’orchestre est tenu, qui par le regard, qui par les bras, qui par l’ensemble de l’attitude du corps. Voire parfois le coude droit semble diriger les contrebasses alors que la main droite s’adresse plutôt à la flûte, et peut-être la main gauche donne-t-elle en même temps une indication aux cors alors que l’épaule gauche guide les violons... Cette sur-activité permanente, outre son extrême lisibilité, autant pour les musiciens que pour le public, a de surcroît le mérite de rester toujours agréable à regarder, en phase avec le cheminement musical au point d’en devenir indissociable. Rien de gratuit dans cette présence physique, mais au contraire un mystérieux fluide, une énergie qui se transmet aux musiciens et paraît tranquillement les obliger à donner le meilleur d’eux-mêmes.


Commencer avec Mozart est un pari difficile, mais splendidement tenu, de surcroît en faisant curieusement fi de tout le bagage des pratiques historiquement informées dont bon nombre de chefs d’aujourd’hui s’obligent à s’encombrer. Cette Symphonie «Haffner» est d’une limpidité et d’une élégance absolues, et pourtant dépourvue de toute froideur. On songe, surtout avec un orchestre d’une telle perfection instrumentale, rien moins qu’aux souvenirs laissés par un Carlos Kleiber ou un Karl Böhm : une évidence qui fait oublier tout a priori esthétique. On ne s’ennuie pas une seconde et toutes les options du chef paraissent recevables, y compris même un Final pris à un tempo d’enfer, où pourtant tous les musiciens peuvent continuer à respirer à l’aise, car toujours sécurisés par une gestique d’une absolue précision.


Une vingtaine de minutes de John Adams ensuite, mais ceci plutôt parce que le compositeur américain est cette année en résidence à Berlin. The Wound-Dresser, pour baryton solo et orchestre de chambre est une pièce créée il y déjà presque vingt ans mais qui vieillit bien. On y trouve peu les patterns typiques de l’écriture d’Adams mais plutôt un réseau ductile d’atmosphères obtenues grâce à diverses configurations instrumentales, parfois très proches orchestralement du Samuel Barber des Essays ou du Charles Ives de The Unanswered Question. Mais l’œuvre garde une certaine personnalité, grâce aussi à l’emploi d’un synthétiseur qui vient discrètement colorer la masse sonore de reflets ou de bruits complémentaires. Les fragments du texte de Walt Whitman (1865 : un poème sur l’expérience vécue par l’auteur lui-même, en tant qu’infirmier volontaire pendant la guerre de Sécession américaine) ne sont pour autant qu’assez peu mis en valeur, l’ensemble paraissant un peu délavé. Peut-être aussi du fait du baryton autrichien Georg Nigl, interprète d’une présence très correcte mais dépourvu de l’incisivité et de l’idiomatisme d’une véritable voix américaine (réécouter Thomas Hampson dans cette même œuvre suffit à corriger certaines perspectives). On se console avec les cordes berlinoises et la trompette idéalement mélancolique de Tamás Velenczei.


Même si l’essentiel de sa formation musicale ne s’est pas effectué dans sa Sibérie natale mais après l’émigration de sa famille en Autriche, Petrenko tenait sans doute à se présenter aussi avec ses racines russes. D’où cette Symphonie «Pathétique», très (trop?) souvent jouée à Baden-Baden ces temps-ci (et même encore lors du Festival de Pâques de l’année dernière, fort bien dirigée par Manfred Honeck). Mais cette fois-ci la perspective est différente, extrêmement investie dramatiquement, davantage comme un poème symphonique qu’une partition de musique pure (Petrenko n’est pas pour rien un immense chef d’opéra). On passe d’un climat à l’autre avec un sens aigu du fatum, l’imparable technicité de la grande machine berlinoise rendant ces transitions encore plus inéluctables et vertigineuses. Les couleurs orchestrales sont très contrastées, avec le concours de pupitres d’élite : l’introduction au basson sonne particulièrement lugubre, la clarinette solo passe comme une hallucination, les cors avec sourdine du dernier mouvement n’auront jamais paru sonner avec un timbre aussi ouvertement désespéré... Pour autant, aucun morcellement, aucune chute de tension, le chef veillant scrupuleusement à maintenir tout l’effectif dans un état de réactivité maximale. La partie médiane du premier mouvement s’enfonce dans une noirceur effroyable mais jamais le contrôle implacable de Petrenko ne se relâche, l’ensemble gardant une étonnante transparence en dépit de l’importance de l’effectif sollicité (avec toujours, tout en bas de la pyramide, l’énorme grondement des contrebasses berlinoises, véritable phénomène à lui tout seul). On apprécie aussi l’absence de tout emballement dans l’Allegro molto vivace, le chef semblant limiter le niveau sonore de chaque pupitre au niveau exact souhaité, et ce grâce à la profusion d’informations dynamiques qui passent dans sa gestique. Vraiment un chef passionnant à regarder, et que d’ailleurs toute la salle suit des yeux avec une telle attention qu’à la fin du mouvement il suffit à Petrenko d’étendre brutalement les bras en croix pour dissuader quiconque d’applaudir. Pour une fois on peut vraiment apprécier une transition très directe avec l’Adagio lamentoso, qui paraît du coup très court, comme une zone d’ombre projetée par le mouvement précédent. Anéantissement, résignation, tout ceci s’imbrique sans aucune complaisance : un pathos très intérieur mais déchirant, qui se résout dans un silence que le chef maintient de longues secondes durant, par la seule autorité de son bras gauche resté levé.


Pour la suite... il va falloir patienter jusqu’à la mi-2018. Mais tous les espoirs sont permis. Les lendemains de l’Orchestre philharmonique de Berlin risquent de nous réserver bien d’autres soirées de cette envergure. Les augures ne se sont pas trompés, Kirill Petrenko est un excellent choix !



Laurent Barthel

 

 

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