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War Requiem en pays neutre

Geneva
Victoria Hall
03/16/2017 -  et 17 mars 2017
Benjamin Britten: War Requiem, opus 66
Tatiana Pavlovskaya (soprano), Toby Spence (ténor), Hanno Müller-Brachmann (baryton-basse)
Zürcher Sing-Akademie, Maîtrise du conservatoire populaire de musique, danse et théâtre de Genève, Orchestre de la Suisse Romande, Charles Dutoit (direction)


C. Dutoit (© Larry Ho)

Le War Requiem de Benjamin Britten fait partie de ces rares chefs-d’œuvre musicaux du XXe siècle qui, au même titre que les compositions de l’Italien Luigi Nono ou que certaines pièces pour piano de l’Américain Frederic Rzewski, présentent un caractère politique. A l’occasion de la réouverture de la cathédrale de Coventry bombardée durant la guerre, Britten a voulu écrire une œuvre profondément pacifiste. Il a mélangé textes en latin de la liturgie classique avec des poèmes écrits par Wilfrid Owen, décédé durant la Première Guerre mondiale. Il a surtout confié les parties solistes bien évidemment à son compagnon Peter Pears mais aussi à Dietrich Fischer-Dieskau, artiste allemand, et à Galina Vichnevskaïa, artiste russe et épouse de Mstislav Rostropovitch, dont on sait qu’elle n’avait pas obtenu l’autorisation de quitter son pays pour participer à la création de l’œuvre.


Au-delà du message politique, une des grandes difficultés de cette pièce monumentale est de savoir comment gérer les masses importantes de musiciens demandées par le compositeur : orchestre et chœur au complet mais aussi trois solistes, la soprano devant être à côté du chœur, un petit orchestre d’une dizaine de musiciens et un chœur d’enfants en coulisses qui doit être « invisible ». Il faut faire des compromis dans la salle problématique qu’est Victoria Hall pour accommoder autant de musiciens. La formation de chambre n’est pas à la périphérie de la scène mais autour du chef et donc à côté des deux solistes masculins, le chœur d’enfants est quant à lui derrière le chœur des adultes.


Ces choix ne sont pas sans impacts. Les solistes ont du mal à s’équilibrer avec la formation de chambre dans les passages dramatiques: « What passing bells » ou ce duo saisissant où les deux soldats se moquent de la mort, « Death was never an enemy of ours ! ». De son côté, le chœur d’enfants n’a pas ce caractère angélique et éthéré que souhaitait le compositeur. Son entrée pour accompagner le sublime duo final « Let us sleep now » a trop de corps et casse un peu l’atmosphère établie.


Charles Dutoit est familier de ce Requiem qu’il a dirigé à Philadelphie, Chicago ou il y a deux ans à Zurich avec ces solistes et ce même chœur de la Zürcher Sing-Akademie. Ces derniers s’avèrent un choix judicieux. Ils sont homogènes et capables d’une grande dynamique. Le terrible « Dies Irae », dont le compositeur avait dit lors des répétitions (disponibles en bonus dans l’enregistrement légendaire réalisé après la première) « Do not make it sound nice. It is horrid, it is modern music »... est impressionnant et ils trouvent un merveilleux cantabile dans le « Recordare ». La direction du grand chef suisse a beaucoup d’autorité. Certains tutti très orchestrés sont un peu épais mais ceci est probablement lié à la salle et il y a un peu de flottement dans le passage fugué du « Quam olim Abrahae » mais dans l’ensemble, la mise en place est de grande tenue et les passages ont le relief et le drame que demandent ce Requiem.


Tatiana Pavlovskaya chante sa partie avec une certaine « dureté » que demande la partition, Britten n’ayant pas écrit cette partie féminine pour charmer les auditeurs. Toby Spence n’a pas exactement le format vocal d’un Peter Pears, qui était si à son aise dans les nombreux changements de registre, mais il est éloquent dans le « Move him into the sun » et sa diction permet de suivre facilement les textes qu’il chante. C’est peut-être par contre le point faible de Hanno Müller-Brachmann. Le baryton allemand possède un beau timbre et son autorité est réelle mais il ne tire pas assez du solo final « I am the enemy you killed my friend ».


Cette œuvre date des années 1961-1962. Le monde a bien changé et Britten serait si surpris de voir le Brexit, la montée du populisme ainsi que le risque réel de voir un parti d’extrême-droite prendre la direction d’un pays comme la France. Plus de cinquante ans après sa création de ce Requiem, un chef suisse, des artistes allemands, anglais et russes nous rappellent que le message si fort d’un compositeur anglais est toujours d’une actualité aussi brûlante aujourd’hui.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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