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La Saint-Valentin fait «Secession»

Paris
Maison de la radio
02/14/2017 -  
Davor Branimir Vincze : Beasts (création)
Kaija Saariaho : Quatre instants (création)
Florent Motsch : Litanies nocturnes (création)
Juha T. Koskinen : Ophelia/Tiefsee (création)

Thomas Kellner (comédien), Marisol Montalvo (soprano), Vladimir Percevic (alto)
Secession Orchestra, Clément Mao-Takacs (direction)
La Chambre aux échos, Aleksi Barrière (mise en scène)


M. Montalvo


«Concert-spectacle»: on ne peut pas dire qu’on nous ne nous avait pas prévenus! Mais le public était loin d’imaginer ce qui l’attendait après l’entracte.


Pieds nus, troquant la veste pour une tenue décontractée, les musiciens du Secession Orchestra et leur chef Clément Mao-Takacs se sont livrés de bonne grâce aux desiderata du compositeur Juha T. Koskinen (né en 1972) et du metteur en scène Aleksi Barrière pour la création d’Ophelia/Tiefsee. De quoi s’agit-il? D’une refonte de l’œuvre Hamlet-machine (1999) pour alto et ensemble du même Koskinen, fondée sur la pièce éponyme de Heiner Müller (1929-1995). Au texte révolutionnaire du dramaturge allemand ont été adjointes des scènes de l’original shakespearien, une parodie de Jules Laforgue ainsi qu’une critique acerbe de 1827, publiée à l’issue d’une représentation où officiait l’actrice Harriet Smithson, égérie (et future épouse) d’Hector Berlioz. Le personnage d’Ophélie, dont le basculement dans la folie n’en finit pas d’inspirer les artistes – on se souvient notamment du récent let me tell you (2013) du danois Hans Abrahamsen (né en 1952) –, est ici incarné par le prodigieux comédien Thomas Kellner. Un rôle travesti à même de montrer cette démystification de l’hystérie féminine à laquelle s’emploie Müller. Car répond à la Hamlet-machine de ce dernier la propre machine dramatique d’Aleksi Barrière, laquelle met en branle «ce kaléidoscope, ce théâtre condensé qui met à nu ses mécanismes et ses procédés pour mieux faire éclater les étincelles du choc des textes». Evoluant derrière des écrans vidéo quand il ne prend pas à parti des membres du public – dont l’auteur de ces lignes – durant son monologue délirant (en trois langues s’il vous plaît!), notre Thomas Kellner-Ophélie apporte la réplique à Hamlet, rôle muet mais pas silencieux puisqu’il incombe à l’alto solo. Et la musique dans tout ça? Consubstantielle au jeu scénique, elle ne gagnerait probablement pas à être dépareillée. On se situe quelque part entre les sonorités urbaines d’un Heiner Goebbels (né en 1952) et les parodies des musiques contemporaines du théâtre élisabéthain à la manière de Peter Maxwell Davies (1934-2016) dans ses Huit Chants pour un roi fou (1969). On sort de ce maelstrom peut-être moins convaincu (une audition ne saurait suffire pour en saisir tout le sens) que vigoureusement secoué, le cerveau en ébullition, avec une furieuse envie de relire les textes.


Plus traditionnelle, la première partie donnait à entendre les Litanies nocturnes de Florent Motsch (né en 1980), une pièce pour ensemble remarquablement construite, où les quinze instrumentistes rivalisaient de virtuosité au travers des différents solos: contrebasse, clarinette basse et harpe. Des qualités moins discernables dans Beasts de Davor Branimir Vincze (né en 1982), tapisserie sonore pour films d’horreur... et présenté peu ou prou comme tel dans le programme.


Il faut dire qu’on ne partage pas sans risque l’affiche avec la figure mise à l’honneur cette année par le festival Présences, Kaija Saariaho, dont était proposée la création des Quatre instants (2002/2017) dans leur version pour orchestre de chambre. Celle-ci met en valeur les qualités du Secession Orchestra que façonne avec une extraordinaire précision Clément Mao-Takacs, comme un poisson dans un lac (de Finlande) lorsqu’il dirige cette musique. Une musique qui, si elle élit volontiers domicile dans les climats contemplatifs, n’en demeure pas moins rigoureusement composée. Il faut saluer la performance de la soprano Marisol Montalvo, chantant de mémoire une partition sollicitant les registres extrêmes de la voix, et de surcroît peu avare en coloratures. Sans doute sa prononciation trop lâche du français nous a-t-elle empêchés de percevoir toutes les qualités poétiques du texte d’Amin Malouf, mais ses incantations («Le remords me brûle») portaient l’émotion. Par rapport aux Adriana Songs données lors du concert d’ouverture, les Quatre instants semblent renouer davantage avec une forme d’expressionnisme qui rappelle Alban Berg, tels les perles de célesta pour suggérer la lune, ou cette manière de figer un accord par empilement successif, à l’œuvre dans «Uber die Grenzen des Alls», troisième des Altenberg-Lieder. Assurément le moment le plus bouleversant de cette soirée de la Saint-Valentin pas comme les autres...



Jérémie Bigorie

 

 

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