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Victoire de l’ancienne génération Paris Maison de la radio 02/11/2017 - Kaija Saariaho : Frises – Light and Matter
Jérôme Combier : Freezing Fields (création)
Pascal Dusapin : Slackline
Núria Giménez-Comas : ...et j’ai perçu ce vol étrange... (création) Jennifer Koh (violon), Anssi Karttunen (violoncelle), Nicolas Hodges (piano), Salomé Dalien, Philippe Dao (réalisation informatique musicale)
A. Karttunen (© Irmeli Jung)
Dans Frises (2011), Kaija Saariaho tire remarquablement parti du dispositif violon-électronique compte tenu du but qu’elle s’est assigné: une sorte d’hommage à la Chaconne de Bach, en même temps qu’une manière de faire entrer en résonance les différents procédés d’écriture utilisés par les compositeurs à travers les siècles afin d’exploiter au maximum les virtualités polyphoniques d’un instrument essentiellement monodique. Après un prélude qui revêt la forme d’une «improvisation flexible sur un ré constant» et une deuxième séquence plus fougueuse, la pièce se referme sur un émouvant cérémonial où la basse obstinée propre à la chaconne transite entre la lutherie traditionnelle et les sons électroniques (tels des vrombissements de contrebasses étouffés). Jennifer Koh, qui actionne du pied les différents programmes informatiques, transcende la simple exécution des notes pour se hisser au niveau d’une véritable interprète, prodigue en mystère et en frémissements.
Le trio avec piano Light and Matter (2014) reprend l’idée d’un «mouvement perpétuel» en privilégiant les sonorités scintillantes et les textures évanescentes. Le pianiste annone une ritournelle, quand il ne met pas la main dans le corps de son instrument afin d’en tirer des glissandos de harpe. La compositrice nous en voudrait-elle de parler d’impressionnisme? C’est pourtant bien ce courant qu’évoquent les apparitions fugitives et la mobilité aquatique de la trame musicale.
On sera moins disert sur les œuvres de la jeune génération: que Jérôme Combier (né en 1971) se refuse délibérément à guider l’écoute de l’auditeur (notice vierge dans le programme), il n’y a là rien de blâmable. Mais il a manifestement décidé de jouer les trublions avec Freezing Fields pour violoncelle et piano, qui semble partir dans toutes les directions: préparé, le piano oscille entre formules mécaniques, accords à la Messiaen et rythme de habanera à la Ravel auxquels le violoncelle oppose des mélopées d’inspiration hébraïque. On admire surtout le professionnalisme de Nicolas Hodges, d’Anssi Karttunen... et du tourneur de pages.
Face au «cancre» Jérôme Combier, Núria Giménez-Comas (née en 1980) apparaît à l’inverse comme la «bonne élève». Composé avec les conseils – sous la férule? – d’Anssi Karttunen, ...et j’ai perçu ce vol étrange... pour violoncelle solo exploite toute les potentialités de l’instrument sans que sa poétique ne parvienne véritablement à émerger. Le créateur, équipé de sa partition électronique, donne toutefois une vraie leçon de musique à partir de cette enfilade d’études.
Une appréhension plus traditionnelle de l’instrumentarium préside à Slackline (2015) pour violoncelle et piano de Pascal Dusapin (né en 1955), qui s’inscrit dans le sillage «des grands duos instrumentaux de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle». On admire, comme toujours avec le compositeur nancéen, la maestria de l’écriture qui ne va jamais contre l’instrument; chaque mesure semble «entendue». On y retrouve d’ailleurs les quatre mouvements consacrés: le premier oppose l’écriture legato fondée sur de petits intervalles du piano aux lignes amples du violoncelle. Après un fulgurant intermède aux allures de toccata, le troisième mouvement creuse des lignes épurées ponctuées par les pizzicatos du violoncelle. Anssi Karttunen triomphe du finale virtuose, même si l’impression générale laissée par cette œuvre de Dusapin est celle d’une grande tristesse.
Le site de Núria Giménez-Comas
Jérémie Bigorie
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