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Un oratorio à l’opéra Lille Opéra 01/12/2017 - et 14, 17, 19, 21 janvier 2017 Georg Friedrich Händel: Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, HWV 46a Ying Fang (Bellezza), Franco Fagioli (Piacere), Sara Mingardo (Disinganno), Michael Spyres (Tempo)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors, costumes), Felice Ross (lumières), Claude Bardouil (chorégraphie), Denis Guéguin (vidéo)
(© Frédéric Iovino)
L’Opéra de Lille entretient une relation étroite avec le festival d’Aix-en-Provence : après Kalîla wa Dimna en décembre, voici Le Triomphe du Temps et de la Désillusion (1707). Ces deux spectacles, créés dans la cité provençale en juillet, témoignent de la démarche artistique de ces deux institutions, à la programmation ouverte et exigeante. Grâce à une direction d’acteur puissante et précise, Krzysztof Warlikowski confère à cet oratorio une dimension opératique : les figures allégoriques, la Beauté, le Plaisir, le Temps et la Désillusion, gagnent radicalement en relief et en caractère. Le Polonais condamne, toutefois, le ton dogmatique du livret du cardinal Pamphili, pour qui la rédemption de la jeunesse dépravée passe par Dieu. Il s’abstient, par conséquent, de toute référence explicite à la religion, menant plutôt une réflexion lucide, désenchantée, même, sur la jeunesse, belle mais fragile, victime, à la fois, du plaisir et du temps.
Fidèle à son esthétique et à son principe de renouvellement de l’art lyrique, Warlikowski développe une approche moderne de cette œuvre de jeunesse de Haendel, mais moins provocatrice que prévu : sa mise en scène se révèle, aussi, moins éparpillée que les précédentes, moins parasitée par des éléments incongrus, à l’exception de l’extrait pour le moins abscons d’un film de 1983, Ghost Dance de Ken McCullen, projeté en fin de première partie. Le décor de la fidèle Malgorzata Szczesniak porte bel et bien sa signature : une salle de cinéma, un lit d’hôpital, un lavabo, une cage en verre dans laquelle s’enferment la Beauté, un éphèbe et des jeunes femmes, reflet d’une certaine jeunesse d’aujourd’hui – des éléments de langage récurrents. La dimension théâtrale de cette production importe donc autant que la jouissance musicale.
La distribution accuse un léger déséquilibre sur le plan vocal, mais les chanteurs personnifient les allégories avec force. Interprète de la Beauté, Ying Fang exploite une voix légère, souple et endurante mais elle surveille trop le chant au détriment de l’émotion, qu’elle n’exprime pas toujours pleinement ; pourtant, les Lillois avaient autant droit à Sabine Devieilhe que les Aixois. Cette soprano chinoise très active aux Etats-Unis se révèle toutefois parfaitement crédible en jeune femme fragile et d’une beauté artificielle. Conciliant justesse de l’expression et virtuosité vocale, Franco Fagioli, le Plaisir, incarne avec style et incandescence un jeune homme sensuel et charnel. Moins à l’aise dans la vocalise et l’ornementation, Sara Mingardo, la Désillusion, compose un personnage convaincant mais sa voix accroche moins que celle de ses partenaires. Méconnaissable grâce à sa coiffure et à son maquillage, le charismatique Michael Spyres confirme sa stature dans le rôle du Temps : timbre magnétique, phrasé peaufiné, émission puissante et de qualité égale, intonation nuancée. Le ténor réussit décidément haut la main tout ce qu’il accomplit.
Dans la fosse, Emmanuelle Haïm reste fidèle à son geste énergique et amoureux. A la tête d’un Concert d’Astrée chatoyant et le plus souvent précis, elle assume la vitalité de cette musique qu’elle ornemente avec goût et qu’elle positionne toujours en phase avec le déroulement de l’action.
Sébastien Foucart
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