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Le National des grands soirs Paris Maison de la radio 12/15/2016 - Aram Khatchatourian : Concerto pour piano
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Manfred, opus 58 Jean-Yves Thibaudet (piano)
Orchestre national de France, Semyon Bychkov (direction)
S. Bychkov (© Chris Christodoulou)
Le National vient de montrer qu’il peut aussi atteindre les sommets. Sans doute son dernier concert doit-il beaucoup à Semyon Bychkov, qui a donné du Manfred de Tchaïkovski une interprétation incandescente, galvanisant un orchestre conquis – les musiciens l’ont beaucoup applaudi. Vision d’un romantisme exalté, avec un Lento lugubre-Moderato con moto initial névrotique, mais d’une parfaite lisibilité. Et le chef sculpte, brasse une pâte sonore d’une magnifique densité, sans épaisseur pour autant, très colorée. Le Vivace con spirito est d’une légèreté volatile digne de Mendelssohn, avec des bois d’un irrésistible fruité, avant un Andante con moto très fluide, à la fraîcheur pastorale – les cordes ont une homogénéité et une rondeur qu’on ne leur connaît pas toujours. Très berliozien, le final est vraiment un « Songe d’une nuit de sabbat » après l’heure, orgie diabolique d’une violence furieuse. Certes « symphonie en quatre mouvements », Manfred, qui s’achève sur la rédemption du héros byronien, coupable d’avoir aimé sa sœur, n’en relève pas moins de la musique à programme : Bychkov nous le rappelle à travers un sens très aigu de la continuité narrative, un art de l’évocation qui font de la partition de Tchaïkovski un vrai drame en musique, traversé par un souffle puissant. Voilà qui augure bien du cycle prévu avec la Philharmonie tchèque, dont DG vient de publier le premier disque – Symphonie Pathétique et Roméo et Juliette.
Le Concerto pour piano de Khatchatourian a moins séduit. Non que l’orchestre et le chef y aient moins brillé. Jean-Yves Thibaudet, de son côté, y a déployé une virtuosité sans faille, sans dureté surtout, évitant le piège du motorisme agressif dans une partition marquée par Prokofiev, mais aussi relevée de mélodies populaires et de rythmes syncopés plus ou moins jazzy. Il joue ce Concerto comme il jouerait ceux de Ravel, avec une clarté lumineuse, très française, ce qui, loin de l’affadir, rehausse une œuvre formellement assez relâchée et ne renonçant pas à la facilité, inférieure au Concerto pour violon. On se dit que, quitte à élire une partition peu fréquentée, le pianiste français aurait pu jeter son dévolu sur une composition plus intéressante... En bis, un hommage à Shura Cherkassky, dont il offre le Prélude pathétique composé à 14 ans.
Didier van Moere
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