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Samson et Dalila?

Paris
Opéra Bastille
10/04/2016 -  et 7*, 10, 13, 16, 19, 24, 27, 30 octobre, 2, 5 novembre 2016
Camille Saint-Saëns : Samson et Dalila, opus 47
Anita Rachvelishvili (Dalila), Aleksandrs Antonenko (Samson), Egils Silins (Le Grand Prêtre de Dagon), Nicolas Testé (Abimélech), Nicolas Cavallier (Un vieillard hébreu), John Bernard (Un messager philistin), Luca Sannaï, Jian-Hong Zhao (Philistins)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Damiano Michieletto (mise en scène), Paolo Fantin (décors), Carla Teti (costumes), Alessandro Carletti (lumières)


(© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)


Entre opéra et oratorio, Samson et Dalila est un des fleurons de l’opéra français. Le chef-d’œuvre de Saint-Saëns, pourtant, n’a pas été donné à Bastille depuis vingt-cinq ans – beaucoup de partitions y subissent d’ailleurs le même sort alors qu’on peut les voir ailleurs, en région ou au-delà des frontières. Saint-Saëns, de toute façon, est assez mal aimé, réduit souvent au Carnaval des animaux ou à la Troisième Symphonie, avant même le Deuxième Concerto pour piano. Cette saison s’annonce donc comme celle de la réhabilitation, avec demain Proserpine à Versailles en version de concert et Le Timbre d’argent en juin à l’Opéra-Comique. On regrette d’autant plus que l’Opéra, pour Samson, ait raté son coup. Doublement.


En confiant la mise en scène à Damiano Michieletto, d’abord, dont la réputation paraît souvent surfaite. Certes il évite la transposition dans la bande de Gaza, déjà vue mainte fois. Ses Hébreux sont des esclaves d’aujourd’hui, rien de plus – ils pourraient même être des migrants. Mais il nous ressort les kalachnikovs, Abimélech tirant sadiquement sur des victimes désignées à l’aveugle, Dalila sexuellement soumise au Grand Prêtre... Tout cela dans un décor très laid – chambre avec lit king size posée sur deux cubes de pierre au premier acte, à même le sol au deuxième. La fête dans le temple, bal masqué entre soirée jet set et saturnale de péplum, frise le ridicule. Est-ce à dire que le metteur en scène n’a rien à nous dire ? N’allons pas jusque là. Que la Danse des prêtresses de Dagon préfigure le destin de Samson, énucléé par une troupe de faunes, passe assez bien. Que Dalila, finalement, déteste le rôle qu’on lui impose, souffre de sa trahison alors que Samson lui a fait lui-même l’offrande de ses cheveux, peut intéresser – à moins qu’on n’y voie qu’un renversement trop facile. C’est elle, ainsi, qui, à la fin, déclenche avec des bidons d’essence l’incendie destructeur : pour un peu, un Liebestod sacrificiel ! Admettons. Mais cela ne rachète pas une direction d’acteurs totalement indigente, nous ramenant à des poncifs éculés – incapable, aussi, de faire quelque chose du chœur, pourtant un des personnages essentiels de l’opéra de Saint-Saëns. C’est de la série B.


Le ratage tient également à la distribution. Que l’Opéra de Paris, pour un tel ouvrage, ait réuni des voix aussi étrangères au chant et au style français laisse pantois – il n’y a que l’Abimélech de Nicolas Testé et le Vieillard hébreu de Nicolas Cavallier pour le représenter, dignement d’ailleurs, sans parler du remarquable chœur, notamment d’exemplaires Philistines ou Vieillards hébreux. Entendons-nous : il ne s’agit pas seulement de réclamer des chanteurs français – même si, en la circonstance, c’est plus que légitime... Les derniers grands Samson, par exemple, s’appelaient Jon Vickers, sans doute inégalé, et Plácido Domingo. Et un Carlo Cossutta, celui de 1991 en alternance avec Vladimir Atlantov, était remarquable malgré son usure. De ce point de vue, on n’a pas entendu Samson et Dalila – sinon par défaut. Aleksandrs Antonenko ne fait que passer son chemin, doté d’un médium qui manque de bronze et d’aigus souvent forcés. Il rate le premier acte, mal dégrossi, mais se rattrape ensuite, nuançant beaucoup – quitte à détimbrer – le deuxième, où il restitue la fragilité déchirée du héros biblique, pour nous émouvoir vraiment dans le troisième. Ne parlons pas du Grand Prêtre, où, pour le coup, on pouvait aisément trouver un chanteur adéquat : Egils Silins s’y égare sans manières. Reste la Dalila d’Anita Rachvelishvili. Voix d’une opulence capiteuse, immense, d’une incroyable égalité de registres, c’est encore elle qui, paradoxalement, articule le mieux. Et elle chante « Printemps qui commence » ou « Mon cœur s’ouvre à ta voix » dans la demi-teinte exigée par la partition, ce qu’on n’entend pas si souvent. Impressionnant, à coup sûr – un triomphe, évidemment, malgré une ou deux huées. Autant dire qu’elle écrase tout le monde. Il n’empêche que, stylistiquement...


Ces nuances lui ont-elles été imposées par Philippe Jordan ? Le chef a en effet regardé la partition au fond des yeux, la rend à la vérité de ses couleurs et de ses nuances ; on la redécouvre même, inscrite dans la grande tradition française qu’ont illustrée un Louis Fourestier ou un Jean Fournet. La direction est plastiquement magnifique, avec des interludes orchestraux de toute beauté. Elle épure aussi tout ce qu’il y a ici de kitsch orientaliste ou de pompiérisme – le dernier tableau reste toujours très tenu. Mais elle manque du coup d’une certaine sensualité et pâtit de baisses de tension, sans doute parce que le directeur de l’Opéra sacrifie la courbe en raffinant le détail, notamment dans le deuxième acte, qui devrait être une coulée de lave.


Si vous voulez vraiment entendre chanter Samson et Dalila, écoutez, après avoir vu – surtout pas avant – une production dont la deuxième soirée a laissé assez clairsemés les rangs de Bastille, l’ancienne et légendaire version de Louis Fourestier (Naxos).



Didier van Moere

 

 

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