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Un piano et des oiseaux

La Grave
Eglise Notre-Dame de l’Assomption
07/28/2016 -  
Olivier Messiaen : Catalogue d’oiseaux: 1er [3], 2e [2], 3e [2], 4e [1], 5e [1], 6e [3] et 7e [4] Livres – La Fauvette Passerinette (reconstitution Peter Hill) [2] – La Fauvette des jardins [1] – Petites Esquisses d’oiseaux [4]
Markus Bellheim (1), Peter Hill (2), Wilhem Latchoumia (3), Lorenzo Soulès (4) (piano)


L. Soulès, P. Hill, M. Bellheim, W. Latchoumia (© Colin Samuels)


«Messiaen au Pays de la Meije», après la religion la veille, se consacre à l’une des autres sources d’inspiration cardinales du compositeur: les oiseaux – qu’il considérait, au demeurant, comme des messagers du divin – occupent, à partir des années 1940, une place essentielle dans son langage. Rien de surprenant, au demeurant, à La Grave, de la part d’un festival qui s’est toujours montré en harmonie, jusque dans sa randonnée ornithologique, avec un musicien profondément attaché à la nature.


Même en se limitant aux seules œuvres destinées au piano, conformément à la thématique de l’édition 2016 («Le Piano selon Messiaen»), et en excluant donc par exemple Le Réveil des oiseaux, Oiseaux exotiques ou Un vitrail et des oiseaux, le nombre de partitions dont le titre se réfère directement aux oiseaux demeure considérable: sans inclure, tout à fait logiquement, «La Colombe», premier des Huit Préludes de jeunesse, qui n’a en effet ni les ambitions ni la portée des créations à venir, il reste le très vaste Catalogue d’oiseaux (1958), La Fauvette des jardins (1970) et les six Petites Esquisses d’oiseaux (1985), auxquels il faut désormais ajouter La Fauvette Passerinette (1961), page retrouvée il y a peu et que Faber vient tout juste d’éditer.


Pour faire le tour complet de ce corpus aviaire, la «Nuit des oiseaux», entamée à 18 heures, offre près de quatre heures de musique qui, interrompues par un entracte après le quatrième livre du Catalogue d’oiseaux et par une «collation» à l’issue du septième et dernier livre, s’achèvent à 23 heures 30. Le défi est donc de taille pour les interprètes: un Roger Muraro aurait pu se le lancer seul mais a été réuni en l’occurrence un carré de pianistes de différentes générations, aguerris à la pratique de Messiaen ou, plus généralement, à la musique contemporaine. La tâche est équitablement répartie entre Markus Bellheim (né en 1973), premier prix du concours Messiaen (2000), Peter Hill (né en 1948), élève et biographe de Messiaen, Wilhem Latchoumia (né en 1974), premier prix au concours de musique contemporaine d’Orléans (2006), et Lorenzo Soulès (né en 1992), premier prix au concours de Genève (2012), ancien élève de Pierre-Laurent Aimard et Tamara Stefanovich. A son échelle, beaucoup plus modeste, le public, venu nombreux pour cet événement, est également sollicité dans sa capacité à résister à un programme aussi copieux, y compris d’un simple point de vue physique, puisqu’il lui faut affronter les impitoyables bancs de bois de l’église Notre-Dame de l’Assomption.


C’est une chance que de pouvoir appréhender le Catalogue d’oiseaux (1958) dans son intégralité, alors même qu’il est déjà assez rare d’avoir l’occasion d’en entendre en concert ne serait-ce que des extraits. Si chacune des pièces, «écrite en l’honneur d’une province française», porte le nom d’une seule espèce, elle ne se contente pas d’en retranscrire le chant: comme l’explique le compositeur, ce n’est que «le nom de l’oiseau-type de la région choisie». Cet animal n’est donc pas seul – «ses voisins d’habitat l’entourent et chantent aussi» – de telle sorte que ce ne sont pas moins de soixante-dix-sept oiseaux qui apparaissent en réalité dans les treize pièces. Evocatrice, voire quasiment descriptive, la musique est aussi celle de paysages ou de moments de la journée – il y a ainsi deux nuits très différentes dans les deux pièces du deuxième livre, «La Chouette hulotte» et «L’Alouette lulu».


Et c’est une chance aussi que de passer successivement d’un pianiste à l’autre, chacun offrant un éclairage différent et personnel sur cet univers singulier. Wilhem Latchoumia, auquel échoient notamment des pièces («Le Chocard des Alpes», «Le Merle de roche») que certains des turbulents cadets de Messiaen – Boulez, Stockhausen – n’auraient sans doute pas reniées, dévore traits et accords avec une apparente facilité, mais avec une gourmandise dépourvue de tout excès de violence. Après avoir lu les textes de présentation du compositeur avec un délicieux accent d’outre-Manche, Peter Hill, en particulier dans le fameux «Traquet stapazin», révèle un jeu plus tendre et souple, tout en nuances, tirant sans doute moins parti du potentiel du «grand piano». Empoignant quant à lui la musique avec une grande vigueur et une liberté parfois surprenante, Markus Bellheim souligne les contrastes avec énergie et humour dans «La Rousserolle effarvatte» mais le caractère plus radieux de «La Bouscarle» lui convient peut-être un peu moins. Enfin, bien qu’appelé in extremis à remplacer Momo Kodama, souffrante, Lorenzo Soulès combine avec une maestria impressionnante précision, objectivité et clarté du propos, d’une part, tension, réactivité et agilité – quelles fusées dans «Le Courlis cendré»! –, d’autre part.


Mais avec cette somme de deux heures trois quarts de musique, Messiaen n’en avait pas fini avec les oiseaux. Il semble ainsi avoir songé très vite à un deuxième Catalogue d’oiseaux, ce que tendrait à prouver la découverte récente par Peter Hill (et la reconstitution par ses soins, la partie centrale étant, comme il le précise, «fragmentaire») d’une Fauvette Passerinette datée du 8 août 1961 et d’une durée d’un peu plus de 10 minutes: l’Anglais s’en fait ici évidemment l’interprète convaincu – très vraisemblablement ici la première française de cette œuvre. De toute autre ampleur est La Fauvette des jardins, qui constitue un véritable appendice au Catalogue: Markus Bellheim y fait merveille, mais c’est Lorenzo Soulès qui aura le dernier mot avec les très brèves Petites Esquisses d’oiseaux, comme un précipité de la pensée et de l’écriture de Messiaen.


Le site de Markus Bellheim
Le site de Peter Hill
Le site de Wilhem Latchoumia
Le site de Lorenzo Soulès



Simon Corley

 

 

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