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La fin d’un orchestre

Freiburg
Konzerthaus
07/17/2016 -  
Gustav Mahler : Todtenfeier
Mark Andre : über, pour clarinette, orchestre et électronique live
György Ligeti : Atmosphères
Franz Schubert: Symphonie en si mineur « Inachevée », D. 759
Pierre Boulez : Notations I - IV - III - II
Charles Ives : The Unanswered Question
Igor Stravinsky : Le Sacre du printemps

Jörg Widmann (clarinette)
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, Experimentalstudio des SWR, François-Xavier Roth (direction)


(© Lamparter)


Le compte à rebours est arrivé à son terme. La disparition de l’Orchestre du SWR de Freiburg et Baden-Baden, décision arrêtée depuis plusieurs années et maintenue en dépit d’incessantes contestations, pétitions, manifestations… est désormais effective puisque nous venons d’assister irrémédiablement ici, au Konzerthaus de Freiburg, au dernier concert de cette formation (voir ici). Sitôt déposés les instruments seront embarqués pour Stuttgart, où en septembre 2016 commencera la curieuse existence d’un orchestre fusionné, désormais baptisé le SWR Symphonieorchester. La brochure de la nouvelle saison, sous le titre difficilement traduisible de « Es wird spannend » ne nous promet rien de bien engageant (spannend : ce très galvaudé mot-valise à l’allemande, synonyme d’attente, d’inattendu, mais aussi de possibles tensions sous-jacentes): une musique de notre temps traitée maintenant beaucoup plus comme un alibi que comme un engagement fort (essentiellement un cycle entier Saariaho/Mahler, dont la part contemporaine sera sans doute plus douillette que tendue), Tzimon Barto en guise de pianiste en résidence (ne pouvait-on vraiment pas trouver plus intéressant ?), pas de directeur musical mais quelques chefs invités de passage (Eötvös, Eschenbach, Metzmacher, Zinman...) dont on se demande vraiment ce qu’en à chaque fois quelques jours de présence seulement ils pourront inculquer à ce nouvel orchestre patchwork. A défaut de tension prévaut plutôt pour l’instant une impression douloureuse de désastre. Mais attendons septembre...


Pour l’heure, l’Orchestre du SWR de Freiburg et Baden-Baden, fort des soixante-dix années d’existence qu’il vient juste de fêter il y a quelques mois, prend définitivement congé de ce fidèle public fribourgeois qui l’a adopté dans son Konzerthaus pendant vingt ans. Le programme est tenu secret jusqu’au dernier moment. On sait juste qu’il sera plantureux et aussi représentatif que possible de toutes les facultés de l’orchestre. Plus un siège n’est disponible depuis des mois, et ceux qui n’ont pas pu en trouver sont conviés à assister au concert à l’extérieur, retransmis sur un écran géant sous le péristyle.


Arrivée des musiciens. Les visages restent fermés malgré des applaudissements nourris. On ressent partout une émotion immédiatement relayée musicalement quand François-Xavier Roth lève la baguette pour le Todtenfeier de Mahler, version initiale du premier mouvement de la Deuxième Symphonie, dont le compositeur lui-même envisageait l’exécution séparée. L’autorité des cordes graves est virulente, les tensions sont partout, inexorables : manifestement l’orchestre s’exprime à sa manière, proteste et s’élève contre la situation absurde à laquelle il est confronté, en toute impuissance.


L’engagement constant de l’orchestre pour la musique savante de son temps, chaque automne au Festival de Donaueschingen mais aussi un peu partout en Europe pendant des décennies, s’est traduit par une liste interminable de créations, dont certaines sont restées particulièrement plébiscitées par les membres de l’orchestre. über de Mark Andre fait partie de ces œuvres lauréates : un long poème sonore pour clarinette et grand orchestre qui débute et se termine aux confins du silence, une amplification et un retraitement électronique du soliste permettant de mettre en valeur même des effets aux limites de l’audible (bruits de souffle dans l’instrument, claquement de clés, sons harmoniques...). Un vocabulaire à la Sciarrino mais traité avec une originalité et une narrativité qui s’imposent bien sur la durée d’une pièce de grand format (une bonne demi-heure, ce qui est peut-être un peu trop sur une fin qui n’en finit pas... de finir !). Impressionnante prestation de Jörg Widmann, qui peut manifestement tout faire avec son instrument, mais aussi d’un orchestre aux aguets, totalement immergé dans cette ambiance tantôt arachnéenne tantôt parcourue de chocs violents et secs.


Après un premier entracte, la partie centrale du concert s’articule autour d’une exécution de la Symphonie Inachevée de Schubert, sous la direction d’un François-Xavier Roth qui a manifestement des idées très tranchées sur l’interprétation de cette œuvre : tempi plutôt rapides, énergie motrice constamment relancée, au prix d’allures martiales et de raideurs qui ne nous paraissent pas toujours en situation. Celui qui restera le dernier directeur musical de cet orchestre aurait manifestement été, en d’autres circonstances, un chef de transition, après l’ère particulièrement brillante du triumvirat Cambreling-Gielen-Zender. Ce qu’il a tenté d’inculquer aux musiciens en matière de grand répertoire, avec sans doute quelques options bien arrêtées sur les pratiques historiquement informées, ne nous convainc pas toujours. Pour l’orchestre, dans cette œuvre, on préfère en rester au souvenir indélébile laissé par Michael Gielen (voir ici).


Autour de Schubert, Atmosphères de Ligeti, un classique du XXe siècle, sujet à des interprétations très diverses (celle-ci, très riche en effets presque descriptifs, nous semble s’éloigner de la volonté d’abstraction initiale du compositeur, mais pourquoi pas...) et quelques Notations de Boulez, pièces à grands effets orchestraux qui devraient bientôt à elles seules faire davantage recette que tout le reste de l’œuvre boulézien réuni. L’orchestre connaît à la perfection ces courtes séquences de démonstration, un savoir-faire qui risque de s’éteindre avec lui, au profit d’exécutions plus quelconques qui noieront définitivement ces Notations aux concessions un rien aguicheuses dans le continuum symphonique traditionnel.


Effectif momentanément réduit après le second entracte : quelques cordes seulement (pourquoi d’ailleurs aussi peu, du coup on ne les entend guère ?) et quelques vents, pour The Unanswered Question de Charles Ives. Des questions sans réponse, la disparition d’un orchestre de cette valeur pourrait en susciter des milliers. Des "pourquoi" et des "comment" à n’en plus finir. Les vraies réponses sont malheureusement tout aussi évidentes : la culture musicale de nos élites intellectuelles s’appauvrit chaque année davantage et nos décideurs sont devenus majoritairement ignares. A quoi sert dès lors, d’entretenir un orchestre de plus ou de moins, tant qu’il en restera quelques-uns ? Pour l’une des premières fois, cette froide logique comptable vient de gagner une bataille, dont on espère simplement qu’elle n’en annonce pas l’issue de beaucoup d’autres...


L’orchestre choisit de prendre définitivement congé avec le Sacre du printemps, qui résonne comme un ultime cri sauvage. François-Xavier Roth chauffe à blanc la "Danse de la terre", à un tempo infernal. L’implacabilité de certains passages se raidit parfois, s’organise en tensions mécaniques annonciatrices des violences musicales plus organisées des années vingt du siècle dernier. L’exécution paraît dès lors un peu hors style, mais les recherche sont sincères et les musiciens s’y épanchent à fond, comme s’ils cherchaient à donner pour l’ultime fois ce qu’ils peuvent trouver en eux de meilleur.



(© Lamparter)


Aucun bis, simplement des musiciens saluant longuement un public vite organisé en standing ovation. De toutes les rangées surgissent alors des centaines de feuilles de papier brandies à bout de bras : de multiples cœurs rouges, des « MERCI » et des adjectifs laudatifs imprimés en grosses majuscules, en allemand et en français (« FORMIDABLE », « UNIQUE », « SINGULIER », « GRANDIOSE »). Les musiciens gardent difficilement contenance, certains ne retiennent pas leurs larmes... Terrible épilogue que ce long moment d’émotion, là où devrait simplement s’imposer la joie collective d’une fin d’une saison réussie et la perspective de se retrouver après les vacances, pour continuer... Espérons ne jamais devoir revivre de tels instants ailleurs, dans les années à venir...



Laurent Barthel

 

 

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